Conseil d'État statuant au contentieux
6° et 2° sous-sections réunies

Arrêt n° 199015
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FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DES SYNDICATS D'EXPLOITANTS AGRICOLES DU HAUT-RHIN et autres
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Monsieur LERCHE, rapporteur
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Monsieur SEBAN, commissaire du gouvernement
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Lecture du 29 DÉCEMBRE 1999

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

Vu, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 20 août 1998, l'ordonnance du 18 août 1998, par laquelle le président du tribunal administratif de Strasbourg a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R 81 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, le dossier de la requête enregistrée le 19 juin 1998 au greffe de ce tribunal et présentée devant celui-ci par la Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin, représentée par son président en exercice, par le centre départemental des jeunes agriculteurs du Haut-Rhin, par la chambre d'agriculture du Haut Rhin, par la Fédération régionale des syndicats d'exploitants d'Alsace, par le Centre régional des jeunes agriculteurs d'Alsace, et par la chambre d'agriculture du Bas-Rhin ; la Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin (FDSEA) et autres demandent au juge administratif d'annuler les délibérations nos 96-33, 96-34 et 96-35 modifiées, prises par l'agence de l'eau Rhin-Meuse, et parues au Journal officiel de la République française le 1er janvier 1998, relatives, respectivement, à la délimitation des zones de tarification, à la fixation de l'assiette et aux modalités de recouvrement des redevances de prélèvement sur la ressource en eau, et à la fixation du montant desdites redevances ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 34 et 62, ensemble la décision n° 82124 du 23 juin 1982 du Conseil constitutionnel ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Vu la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 ;
Vu le décret n° 66-700 du 14 septembre 1966 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M Lerche, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Ricard, avocat de la Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de l'Agence de l'eau Rhin-Meuse,
- les conclusions de M Seban, Commissaire du gouvernement ;

 

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par l'agence de l'eau Rhin-Meuse :

Sur la légalité des délibérations attaquées :

Considérant que pour lutter contre la pollution de l'eau et la baisse des ressources en eau dans le bassin Rhin-Meuse, le conseil d'administration de l'agence de l'eau a, par délibérations n° 96-33, 96-34, 96-35 publiées au Journal officiel du 1er janvier 1998, respectivement décidé la mise en oeuvre et la délimitation de zones de tarifications pour les prélèvements d'eau effectués dans le bassin, fixé l'assiette et les modalités de recouvrement des redevances, fixé le taux des redevances de prélèvements sur la ressource en eau ;

Considérant que les délibérations attaquées ont été prises pour régulariser la situation des irriguants de la plaine d'Alsace dont l'exonération de redevance de prélèvement d'eau avait été relevée par la Cour des comptes ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit que pour procéder à une régularisation de la situation des intéressés l'agence de l'eau Rhin-Meuse aurait été tenue de recueillir l'avis du directeur de l'eau au ministère de l'environnement ; que l'avis émis par ce dernier par lettre du 19 avril 1997 n'a en tout état de cause pas été dénaturé ;

Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la loi du 16 décembre 1964 "l'agence financière de bassin établit et perçoit sur les personnes publiques ou privées des redevances, dans la mesure où ces personnes   rendent nécessaire ou utile l'intervention de l'agence ou dans la mesure où elles y trouvent leur intérêt" ; qu'il résulte de l'ensemble des dispositions du titre I de ladite loi que les agences financières de bassin ont pour objet non seulement de lutter contre la pollution des eaux mais également de veiller à l'équilibre des ressources et des divers besoins en eau dans le bassin ; que, par suite, dans la mesure où elles effectuent des prélèvements sur la ressource en eau, et même s'ils sont suivis de restitution, les personnes publiques ou privées rendent nécessaire ou utile l'intervention de l'agence ; qu'ainsi l'activité d'irrigation est justiciable de la redevance prévue par les dispositions législatives précitées ; qu'il ne peut être utilement contesté par la Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin et autres que, quels que soient les moyens d'approvisionnement en eau utilisés, l'irrigation de l'agriculture alsacienne opère des prélèvements sur la ressource globale du Bassin Rhin-Meuse, même si une partie importante est restituée à la nappe phréatique ; que, dès lors, en vertu des dispositions précitées, les moyens tirés de ce que ces prélèvements d'eau ne constitueraient pas des prélèvements au sens de la loi du 16 décembre 1964, ne seraient pas soumis aux "redevances" prévues à l'article 14 de cette loi, et ne rendraient pas nécessaire ou utile l'intervention de l'agence de bassin doivent être écartés ;

Considérant que les "redevances" perçues par les agences financières de bassin, en application de la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre la pollution, sont destinées à assurer le financement des dépenses de toutes natures qui incombent aux agences et ne constituent ni une rémunération pour services rendus visés à l'article 5 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, relative aux lois de finances, ni des redevances domaniales ; qu'elles doivent être rangées parmi les impositions de toute nature ; que, par suite, si les requérants allèguent que l'agriculture alsacienne serait titulaire des droits d'eau, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à l'exonérer des "redevances" litigieuses ;

Considérant qu'aux termes de l'article 18 du décret du 14 septembre 1966 dans sa rédaction résultant du décret du 28 octobre 1975 : "I  2°) pour la détermination de l'assiette des redevances établies au titre des prélèvements, le conseil d'administration établit des barèmes répartissant les prélèvements par classes suivant les quantités et la qualité de l'eau prélevée, ainsi que les circonstances de temps et de lieu de nature à influer sur la valeur de la ressource. Le conseil d'administration peut établir des barèmes particuliers à certaines catégories de redevables comportant des règles simplifiées pour l'assiette de redevances" ; que la délibération n° 96-34 institue une redevance dite "de base" assise sur le volume réel d'eau prélevée sur le milieu naturel, et une redevance dite "de consommation" assise sur la différence calculée par application de coefficients forfaitaires établis par nature d'activité, entre le volume d'eau prélevé et celui rejeté après usage ; qu'une telle imposition, distincte suivant la nature des prélèvements effectués, ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'article 18 du décret du 14 septembre 1966, et n'est donc pas entachée d'illégalité ;

Considérant que les délibérations n° 96-34 et n° 96-35 prévoient, ainsi qu'il vient d'être dit, que les consommations d'eau font l'objet d'une redevance de base calculée de manière uniforme pour tous les usagers et une redevance de consommation nette adaptée aux besoins spécifiques des différents utilisateurs ; que cette dernière redevance tient compte notamment de la situation particulière des irriguants de la plaine d'Alsace ; que, par suite, le moyen tiré de ce que serait méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques des exploitants agricoles de la plaine d'Alsace manque en fait ;

Considérant que si les requérants soutiennent que le produit de la redevance de prélèvement excéderait manifestement les besoins résultant pour l'agence de l'exécution de son programme pluriannuel d'intervention, elles n'assortissent ce moyen d'aucun élément de nature à en apprécier le bien-fondé ; que, par suite, ce moyen ne peut être accueilli ;

Considérant que le moyen tiré de ce que, par délibération du 25 novembre 1998, le conseil d'administration de l'agence de l'eau Rhin-Meuse aurait institué l'exonération de redevance pour les prélèvements d'eau effectués pour un motif d'intérêt général, notamment lorsque le prélèvement d'eau superficielle est destiné à réalimenter la nappe souterraine, ne saurait, en tout état de cause, être utilement invoqué, cette délibération étant postérieure à celles qui sont attaquées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation des délibérations nos 96-33, 96-34, 96-35 prises par l'agence de l'eau Rhin-Meuse ;

 

Sur les conclusions de l'agence de l'eau Rhin-Meuse tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner solidairement la Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin, la chambre d'agriculture du Haut-Rhin, la chambre d'agriculture du Bas-Rhin le Centre départemental des jeunes agriculteurs du Haut-Rhin, le centre régional des jeunes agriculteurs d'Alsace et la Fédération régionale des syndicats d'exploitants d'Alsace à payer à l'agence de l'eau Rhin-Meuse la somme de 25 000 F qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

 

DECIDE :

Article 1er : La requête de la Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin et autres est rejetée.

Article 2 : La Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin, le centre départemental des jeunes agriculteurs du Haut-Rhin, la chambre d'agriculture du Haut-Rhin, la chambre d'agriculture du Bas-Rhin, la Fédération régionale des syndicats d'exploitants d'Alsace, le Centre régional des jeunes agriculteurs d'Alsace verseront solidairement à l'agence de l'eau Rhin-Meuse la somme globale de 25 000 F au titre des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Haut-Rhin, au centre départemental des jeunes agriculteurs du Haut-Rhin, la chambre d'agriculture du Haut-Rhin, à la chambre d'agriculture du Bas-Rhin, à la Fédération régionale des syndicats d'exploitants d'Alsace, au Centre régional des jeunes agriculteurs d'Alsace, à l'agence de l'eau Rhin-Meuse et au ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.