Arrêt du Conseil d'État du 17/05/1974 n° 84701 COMMUNE DE BONNIEUX

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Requête de la COMMUNE DE BONNIEUX (Vaucluse) tendant à l'annulation des articles 1, 2 et 4 d'un jugement du 2 juillet 1971 du Tribunal administratif de Marseille qui a condamné la requérante à payer aux époux X... une indemnité de 18 000 F en réparation des dommages résultant pour eux des inconvénients de voisinage d'une station d'épuration des eaux et a rejeté l'action en garantie que la commune avait formée contre la SOCIÉTÉ NITRIS chargée de l'entretien de l'ouvrage ;

Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ;
L'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;

 

En ce qui concerne la demande d'indemnité des époux X... ;

Sur la responsabilité de la COMMUNE DE BONNIEUX :

Considérant que l'arrêté préfectoral en date du 18 mai 1961 déclarant d'utilité publique la construction d'une station d'épuration des eaux sur le territoire de la COMMUNE DE BONNIEUX, a été publié avant que les époux X... aient acquis leur propriété, en octobre 1964, mais que l'ouvrage litigieux n'a été construit qu'en 1964 et a donc été mis en service après cette acquisition ; que, par leur persistance et leur gravité, les odeurs provenant de la station d'épuration des eaux de Bonnieux causaient au voisinage, ainsi qu'il résulte de l'instruction, notamment des expertises auxquelles il a été procédé en première instance, un préjudice qui excédait notablement les inconvénients résultant du fonctionnement normal d'une station d'épuration ; que, si les époux X... s'étaient exposés à subir une certaine gêne, en raison de la proximité du terrain sur lequel la station d'épuration devait être implantée, ils ne pouvaient cependant pas s'attendre à ce que les conditions d'habitation de leur propriété soient aussi gravement modifiées ; qu'ils ont subi de ce fait un trouble de jouissance de nature à leur ouvrir droit à indemnité ;

Considérant que, pour s'affranchir de la responsabilité qu'en sa qualité de maître de l'ouvrage elle encourt envers les époux X..., lesquels ont la qualité de tiers à l'égard de cet ouvrage, la commune requérante ne saurait utilement soutenir que la station d'épuration aurait été normalement entretenue ;

Considérant, enfin, que, si la population de l'agglomération desservie par la station, notamment pendant la période d'été, a pu s'accroître de quelques dizaines d'unités depuis l'époque où l'ouvrage a été conçu, cet accroissement, qui, du reste, n'était pas imprévisible, n'a pas été tel qu'il soit permis de lui imputer la capacité insuffisante de l'installation ; que, dès lors, la COMMUNE DE BONNIEUX n'est pas fondée à soutenir que les dommages subis par les époux X... seraient dus à des circonstances présentant un caractère de force majeure ;

Considérant que, de ce qui précède, il résulte que c'est à bon droit que, par le jugement attaqué en date du 2 juillet 1971, le Tribunal Administratif de Marseille a retenu l'entière responsabilité de la COMMUNE DE BONNIEUX ;

 

Sur le préjudice indemnisable et la réparation :

Considérant, d'une part, que le dommage subi par les époux X... résulte, non de l'existence même de l'ouvrage, mais des conditions anormales dans lesquelles il fonctionne et auxquelles il peut être porté remède par des travaux appropriés ; que les intéressés ne sont, par suite, pas fondés à demander une indemnité pour la prétendue dépréciation définitive de leurs fonds ;

Considérant, d'autre part, que le Tribunal Administratif a fait une exacte appréciation des troubles de jouissance subis par les époux X..., pour la période comprise entre la mise en service de l'ouvrage et le jugement attaqué, en fixant l'indemnité due de ce chef à 18 000 F, tous intérêts compris à la date du jugement ; que si, contrairement à ce que soutient la COMMUNE DE BONNIEUX, les époux X... sont recevables à demander, par la voie d'un recours incident, la réparation du préjudice qu'ils ont continué à subir depuis la date de ce jugement et s'ils sont fondés à réclamer, à ce titre, une indemnité qui, dans les circonstances de l'espèce, doit être fixée à 8 000 F, y compris tous intérêts au jour de la présente décision, les intéressés ne le sont, en revanche, pas à demander la réparation du préjudice qu'ils pourraient subir dans l'avenir si la COMMUNE DE BONNIEUX n'exécute pas les travaux nécessaires au bon fonctionnement de la station, et dont la consistance ne peut être actuellement déterminée ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'indemnité mise à la charge de la COMMUNE DE BONNIEUX doit être portée à 26 000 F ;

 

En ce qui concerne les conclusions en garantie dirigées contre la SOCIÉTÉ ANONYME NITRIS :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le fonctionnement défectueux de la station d'épuration de la COMMUNE DE BONNIEUX est dû, tant à sa capacité insuffisante, eu égard à la population qu'elle dessert, qu'aux négligences relevées dans son entretien ;

Considérant, d'une part, que la capacité de l'ouvrage construit par la SOCIÉTÉ NITRIS répondait aux spécifications fixées par le cahier des charges ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de rechercher si les prétentions de la COMMUNE DE BONNIEUX, dans la mesure où elles sont fondées sur l'inexécution, par la SOCIÉTÉ NITRIS, des engagements souscrits par celle-ci dans le marché de construction de la station, ont le caractère d'une demande nouvelle, irrecevable en cause d'appel, la commune n'est pas fondée à soutenir que l'entrepreneur aurait méconnu les obligations qu'il tenait de ce marché ;

Considérant, d'autre part, que si la SOCIÉTÉ NITRIS s'est engagée, par un contrat relatif à l'entretien des installations qu'elle avait construites, à les faire visiter, deux fois l'an, par des techniciens de son entreprise, ce contrat ne l'obligeait pas à assurer elle-même l'entretien quotidien de la station ; qu'il n'est pas contesté par la commune ni que les visites ont eu lieu dans les conditions prévues par le contrat, ni d'ailleurs que les préposés de la SOCIÉTÉ NITRIS ont, à plusieurs reprises, appelé l'attention des services municipaux sur le soin insuffisant apporté par ces services à l'entretien courant des installations ; que, dès lors, la COMMUNE DE BONNIEUX n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal Administratif de Marseille a rejeté les conclusions en garantie qu'elle avait présentées contre la SOCIÉTÉ ANONYME NITRIS ;

 

(Dispositif en ce sens)

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