Arrêt du Conseil d'État (section) du 21/11/1975 n° 90171 SOCIÉTÉ "LA GRANDE BRASSERIE MODERNE" c/ COMMUNAUTÉ URBAINE DE LILLE
Requête de la SOCIÉTÉ "LA GRANDE BRASSERIE MODERNE", tendant à l'annulation d'un jugement du 1er décembre 1972 du Tribunal administratif de Lille rejetant sa demande tendant à faire dire qu'elle ne doit pas être assujettie à la redevance d'assainissement instituée par l'article 75 de la loi de finances pour 1966 du 29 novembre 1965 à raison du rejet des eaux usées de ses installations industrielles dans la rivière de l'Espierre ;
Vu l'article 75 de la loi de Finances pour 1966 du 29 novembre 1965, ensemble
le décret du 24 octobre 1967 ;
Le code de la santé publique, notamment ses articles L 33 et suivants
;
La loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966, ensemble le décret n°
67-1053 du 2 décembre 1967 ;
L'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Le code général des impôts ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
Considérant, d'une part, que l'article L 33 du code de la santé publique dispose que "Le raccordement des immeubles aux égouts disposés pour recevoir les eaux usées domestiques est obligatoire" et que l'article L 35-5 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 75-II de la loi de finances pour 1966 en date du 27 novembre 1965, dispose que "Tant que le propriétaire ne s'est pas conformé aux obligations prévues aux articles qui précèdent, il est astreint au paiement d'une somme au moins équivalente à la redevance qu'il aurait payée si son immeuble avait été raccordé au réseau et qui pourra être majorée dans une proportion fixée par le conseil municipal dans la limite de 100 %" ; que l'article 75 de la même loi du 27 novembre 1965 et le décret du 24 octobre 1967 pris pour son application instituent, pour couvrir les charges d'exploitation des services communaux ou intercommunaux qui exploitent des réseaux d'assainissement ou des stations d'épuration d'eaux usées, des redevances d'assainissement, qui remplacent à compter du 1er janvier 1968 la taxe de déversement à l'égout perçue jusqu'à cette date en vertu des articles 81 et 82 de l'ordonnance n° 45-2522 du 19 octobre 1945 ; que ces redevances, dont le paiement peut être exigé, non seulement des usagers mais aussi, et à un taux éventuellement majoré, de ceux qui ne recourraient pas aux installations desservant leur propriété, présentent le caractère d'une taxe dont l'assiette ou l'exigibilité sont, contrairement à ce que soutient la société requérante de la compétence de la juridiction administrative ;
Considérant, d'autre part, que, pour soutenir que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître du présent litige, la société requérante fait valoir que celui-ci mettrait en cause son droit de propriété sur un tronçon de la rivière l'Espierre, qui traverse ses installations industrielles, dans laquelle elle rejette ses eaux usées et qui a été classée dans la catégorie des rivières non domaniales par un décret du 24 décembre 1962 ; mais qu'il ressort des pièces de la procédure que le litige soumis à la juridiction administrative par la SOCIÉTÉ "LA GRANDE BRASSERIE MODERNE" présente uniquement à juger la question de savoir si cette société doit être regardée, ou non, comme passible de la redevance d'assainissement ; que la solution à donner à ce litige d'une part ne dépend pas du droit de propriété dont la société se prévaut, d'autre part, restera, quelle qu'elle soit, sans influence sur ce droit ; qu'ainsi le litige ne présente à juger aucune question qui ne relèverait pas de la compétence de la juridiction administrative ;
Considérant, dans ces conditions, que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille, s'est reconnu compétent pour connaître du litige dont il était saisi ;
Sur la recevabilité de la demande du Tribunal administratif :
Considérant que, dans la requête qu'elle a initialement présentée devant le Tribunal administratif de Lille la société requérante se bornait à demander au tribunal de juger qu'elle ne devait pas être assujettie à la redevance d'assainissement instituée à compter du 1er janvier 1968 par la COMMUNAUTÉ URBAINE DE LILLE en vertu d'une délibération du Conseil de la communauté en date du 25 février 1968, approuvée le 8 mai 1968 par le préfet du Nord ; que cette demande, présentée par la société requérante alors qu'aucune somme ne lui était encore réclamée au titre de la redevance d'assainissement, était prématurée ;
Mais considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la COMMUNAUTÉ URBAINE DE LILLE n'a pas opposé à la demande de la société requérante une fin de non-recevoir tirée du caractère prématuré de celle-ci et a, dans son mémoire en défense, présenté des conclusions sur le fond du litige, qualifiées par elle de reconventionnelles ; qu'elle a produit à l'appui de ses conclusions, les quittances prévues à l'article 12 du décret du 24 octobre 1967, fixant le montant des redevances dont, selon elle, la SOCIÉTÉ "LA GRANDE BRASSERIE MODERNE" était redevable au titre des années 1968, 1969 et 1970 ; qu'ainsi, dans le dernier état des conclusions des parties devant le Tribunal administratif, d'une part, les décision mettant à la charge de la société des redevances d'assainissement étaient prises et figuraient au dossier, d'autre part, la société attaquait ces décisions et demandait la décharge des redevances qui lui étaient ainsi assignées ; que, par suite, et à défaut de toute disposition du décret du 24 octobre 1967 ou d'un autre texte fixant la procédure d'établissement des redevances, à défaut de toute prescription relative au recouvrement autre que celle, ci-dessus rappelée, qui prévoit la présentation de quittances correspondant à la facturation des sommes dues par les usagers, enfin à défaut de toute règle régissant spécialement l'introduction des instances tendant à la décharge des redevances, le contentieux était valablement lié devant la juridiction saisie et le Tribunal administratif était, en conséquence, tenu de statuer au fond sur la demande de la société requérante ; que celle-ci est, dès lors, fondée à demander l'annulation du jugement attaqué, par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande comme non recevable ;
Considérant que l'affaire est en état ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande ;
Au fond :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la rivière l'Espierre, qui traverse les agglomérations de Tourcoing et de Roubaix avant de pénétrer en Belgique où elle se jette dans l'Escaut, constitue l'un des éléments du réseaux d'assainissement de ces deux villes et des communes limitrophes dont la COMMUNAUTÉ URBAINE DE LILLE assume depuis le 1er janvier 1968 l'exploitation en vertu de l'article 1er-7° du décret n° 67-053 du 2 décembre 1967 portant transfert de compétence à ladite communauté urbaine ; qu'à la suite d'importants travaux effectués depuis 1863 par les collectivités concernées qui ont eu successivement en charge le service d'assainissement avant le transfert de compétence, la rivière l'Espierre a été transformée en égout collecteur sur la plus grande partie de son cours et ses eaux polluées par le déversement des divers égouts sont ensuite traitées dans une station d'épuration avant leur entrée en Belgique ;
Considérant, d'une part, qu'il est constant que la SOCIÉTÉ "LA GRANDE BRASSERIE MODERNE", qui exploite à Roubaix un établissement industriel, rejette ses eaux usées dans l'Espierre qui traverse ses installations dans un aqueduc souterrain construit par ses soins ; que cet ouvrage doit être regardé comme un branchement particulier à l'ouvrage public que constitue le réseau d'assainissement ; que la société requérante, dont l'immeuble est ainsi raccordé au réseau, a la qualité d'usager du service public d'assainissement ; que, si les dispositions de l'article L 33 du code da la santé publique n'imposent l'obligation de raccorder les immeubles aux égouts que pour l'évacuation des eaux usées d'origine domestique, l'obligation d'acquitter la redevance d'assainissement instituée par l'article 75 de la loi du 29 novembre 1965 s'impose, en revanche, à tous les propriétaires des immeubles qui, du fait de leur raccordement au réseau d'assainissement, rejettent dans celui-ci des eaux usées, même si celles-ci sont d'origine industrielle ;
Considérant, d'autre part, que, si la société requérante fait valoir qu'elle rejette ses eaux usées dans un milieu naturel et qu'elle a cru devoir acquitter à ce titre la redevance de pollution instituée par la loi du 16 décembre 1964, cette circonstance est sans influence sur sa qualité d'usager du réseau d'assainissement dès lors que la rivière l'Espierre, bien qu'elle ait été classée dans la catégorie des cours d'eau non domaniaux par le décret du 24 décembre 1962, fait partie intégrante du réseau d'assainissement de la communauté urbaine ; qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne devrait pas être assujettie à la redevance d'assainissement ;
Considérant, enfin que la COMMUNAUTÉ URBAINE DE LILLE a liquidé à la somme de 9 502,04 F pour 1968, 31 830,63 F pour 1969 et 45 511,72 F pour 1970 le montant des redevances dues par la société requérante et que la SOCIÉTÉ "LA GRANDE BRASSERIE MODERNE" ne conteste pas ces montants calculés en fonction de ses consommations d'eau au cours des années dont s'agit ; que, dès lors, elle n'est pas fondée à demander la décharge desdites redevances ;
(Annulation ; rejet de la demande avec dépens ; rejet du surplus)
Messieurs Fabius, rapp. ; Fabre, c. du g. ; Mes Nicolaÿ, Vincent, av.