Arrêt du Conseil d'État (assemblée) du 25/06/1948 n° 94511 SOCIÉTÉ DU JOURNAL "L'AURORE"
(...)
Requête de la société à responsabilité limitée du journal <<l'Aurore>>, agissant poursuites et diligences de son directeur-gérant en exercice, tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de l'article 4 d'un arrêté du ministre de l'Industrie et du Commerce et du ministre des Affaires Économiques et des Finances en date du 30 décembre 1947, fixant le prix de vente de l'énergie électrique ;
Vu l'ordonnance du 30 juin 1945 ;
la loi du 6 avril 1945 ;
l'ordonnance du 31 juillet 1945 ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'Industrie et du Commerce :
Considérant que le ministre de l'Industrie et du Commerce, se fondant sur les stipulations de l'avenant n° 5, en date du 7 juin 1939, à la convention conclue le 5 septembre 1907 entre la ville de Paris et la Compagnie parisienne de distribution d'électricité à laquelle est substituée, par l'effet de la loi du 8 avril 1946, l'Électricité de France, soutient que ledit avenant entraîne pour la société requérante les mêmes obligations que l'arrêté attaqué et qu'ainsi ladite société est sans intérêt à se pourvoir contre cet arrêté ;
Considérant que, comme il sera indiqué ci-après, la disposition critiquée par la requête fait par elle-même grief à la société <<l'Aurore>>, qui est, par suite, recevable à en demander l'annulation ;
Sur la légalité de l'article 4 de l'arrêté du 30 décembre 1947 :
Considérant qu'aux termes de cet article les majorations du prix de vente de l'énergie électrique <<sont applicables pour l'ensemble des départements métropolitains à toutes les consommations qui doivent normalement figurer dans le premier relevé postérieur à la date de publication du présent arrêté c'est à dire au 1er janvier 1948>> ;
Considérant qu'il est constant qu'en raison de l'intervalle de temps qui sépare deux relevés successifs de compteur le premier relevé postérieur au 1er janvier 1948 comprend, pour une part plus ou moins importante selon la date à laquelle il intervient, des consommations antérieures au 1er janvier ; qu'en décidant que ces consommations seront facturées au tarif majoré, l'arrêté attaqué viole tant le principe en vertu duquel les règlements ne disposent que pour l'avenir que la règle posée dans les articles 29 et suivants de l'ordonnance du 30 juin 1945 d'après laquelle le public doit être avisé, avant même qu'ils soient applicables, des prix de tous produits et services arrêtés par l'autorité publique ; qu'en outre la disposition contestée a pour conséquence de faire payer à des tarifs différents le courant consommé dans les dernières semaines de l'année 1947 par les usagers, selon que leurs compteurs sont relevés avant ou après le 1er janvier 1948 ; qu'il méconnaît ainsi le principe de l'égalité entre les usagers du service public ; qu'il était loisible aux auteurs de l'arrêté attaqué de soustraire celui-ci à toute critique d'illégalité en prenant toutes mesures appropriées en vue de distinguer, fût-ce même forfaitairement, les consommations respectivement afférentes à la période antérieure du 1er janvier 1948 et à la période postérieure à cette date, et en ne faisant application qu'à ces dernières du tarif majoré ;
Considérant, il est vrai, que, pour affirmer la légalité de l'arrêté attaqué, le ministre de l'Industrie et du Commerce tire d'une part argument de la date à laquelle la vente de courant à l'abonné serait réalisée et oppose d'autre part à la société requérante les stipulations de l'avenant n° 5 à la convention susmentionnée du 5 septembre 1907 :
Considérant, sur le premier point, que le ministre allègue en vain que la vente du courant ne serait parfaite qu'à la date du relevé du compteur et qu'ainsi le nouveau tarif ne s'appliquerait, aux termes mêmes de la disposition critiquée, qu'à des ventes postérieures au 1er janvier 1948 ; qu'en effet, il résulte clairement des stipulations des contrats d'abonnement que la vente de l'électricité résulte de la fourniture même du courant à l'usager, qu'elle est parfaite à la date où cette fourniture est faite et que le relevé du compteur qui intervient ultérieurement constitue une simple opération matérielle destinée à constater la quantité de courant consommé ;
Considérant, sur le second point, qu'aux termes de l'avenant n° 5 <<pour la basse tension il sera fait application de l'index économique pour les consommations relevées à partir du premier jour du mois suivant la date d'homologation dudit index>> ; que le ministre soutient que la société requérante, usagère à Paris de l'énergie électrique à basse tension, se trouvait ainsi obligée, par le contrat d'abonnement même qu'elle a souscrit et qui se réfère au contrat de concession, de supporter l'application du nouveau tarif aux consommations relevées après le 1er janvier 1948, c'est à dire dans les conditions semblables à celles qu'elle critique ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 30 juin 1945 que les prix de tous produits et services sont fixés par voie d'autorité, notamment par des arrêtés ministériels, et qu'eaux termes de l'article 19 de ladite ordonnance <<sauf autorisation expresse accordée par des arrêtés pris en application de l'article 1er... est suspendue, nonobstant toutes stipulations contraires, l'application des clauses contractuelles qui prévoient la détermination d'un prix au moyen de formules à variation automatique>> ;
Considérant que l'arrêté a été pris dans le cadre de l'ordonnance du 30 juin 1945 qu'il vise expressément, et n'autorise pas le maintien des clauses contractuelles qui prévoient la détermination du prix du courant électrique au moyen de formules à variation automatique ; que ledit arrêté consacre ainsi un régime autonome de fixation du prix du courant électrique, conforme aux principes de la législation nouvelle et différent du système de révision automatique et périodique qui résulte du contrat ; que d'ailleurs, il détermine lui-même les conditions dans lesquelles il doit recevoir application, suivant des modalités différentes de celles prévues au contrat de concession ; que, dès lors, et sans qu'il y ait lieu pour le juge de l'excès de pouvoir de rechercher si le système contractuel pouvait encourir le reproche de rétroactivité, le ministre n'est pas fondé à opposer à la société requérante une clause contractuelle avec laquelle le nouveau mode de fixation du prix du courant est inconciliable ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société <<l'Aurore>> est recevable et fondée à demander l'annulation de la disposition contestée ;
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Article 4 de l'arrêté du 30 décembre 197 annulé en tant qu'il fait application aux consommations antérieures au 1er janvier 1948 des majorations de tarifs prévues aux deux premiers articles dudit arrêté ; les frais de timbre exposés par la société requérante, ainsi que les frais de timbre de la présente décision lui seront remboursés par Électricité de France.