Tribunal Administratif de Dijon du 05/01/1999 n° 985227 et 985247 Monsieur Denis X... et ASSOCIATION "AUXERRE ÉCOLOGIE" c/ COMMUNE D'AUXERRE et SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX 

 

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 novembre 1998 :

- le rapport de Monsieur BEAUJARD, conseiller,
- les observations de Monsieur Denis X... et Me LLORENS, avocat de la commune d'AUXERRE,
- les conclusions de Monsieur LOINTIER, commissaire du gouvernement ;

 

Considérant que les requêtes de Monsieur Denis X... et de l'association "AUXERRE ÉCOLOGIE" tendent à l'annulation de la délibération en date du 12 décembre 1997 et, pour la première requête citée, à l'annulation de la délibération en date du 30 janvier 1998 du conseil municipal de la commune d'AUXERRE, en tant qu'elles autorisent le maire à signer l'avenant n° 6 du contrat d'affermage passé le 15 mai 1972 avec la SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX, relatif à la gestion du service public d'assainissement desservant la commune et les quatre communes voisines d'APPOIGNY, GURGY, MONETEAU et PERRIGNY, en vue de la réalisation de travaux sur le réseau destinés à faire disparaître des nuisances olfactives, moyennant une augmentation de 57 centimes hors taxes de la rémunération du fermier et une prorogation de cinq années de la durée du contrat, qui devait expirer le 31 mars 1999 ; que la requête de Monsieur Denis X... doit être regardée en outre comme tendant à l'annulation de la décision du maire d'AUXERRE de signer ledit avenant, à l'annulation de la décision d'inscrire les crédits correspondants dans le budget primitif de la commune, et à l'annulation des mêmes délibérations, en tant qu'elles prévoient la création d'un syndicat intercommunal à vocation unique chargé de la gestion du service d'assainissement ;

Considérant que les requêtes susvisées de Monsieur Denis X... et de l'association "AUXERRE ÉCOLOGIE", n° 985227 et 985247, sont relatives aux mêmes décisions et présentent à juger des questions communs ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même jugement ; 

 

Sur l'objet du litige et la recevabilité de la requête :

Considérant, en premier lieu, que l'association "AUXERRE ÉCOLOGIE", dont l'objet est "la constitution d'un groupe de réflexion et d'action auxerrois pour la qualité de la vie" justifie de ce fait d'un intérêt suffisant pour agir en justice à l'encontre d'une délibération relative aux conditions de l'évacuation des eaux usées à AUXERRE et dans les communes environnantes ; que la fin de non recevoir soulevée de ce chef par la SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX doit dès lors être écartée ;

Considérant, en deuxième lieu, que si Monsieur Denis X... a dirigé, dans la même instance, des conclusions tendant à l'annulation de plusieurs décisions, les divers actes attaqués présentent entre eux un lien suffisant ; que l'ensemble des conclusions de la requête est par suite recevable ;

Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutient la commune d'AUXERRE, la délibération du 30 janvier 1998 n'a eu ni pour effet ni pour objet d'abroger ou de retirer la délibération du 12 décembre précédent ; qu'au contraire, elle a confirmé les modalités de création du syndicat intercommunal à vocation unique, et a rappelé l'autorisation de signer l'avenant n° 6 en se référant aux principes définis dans la délibération du 12 décembre 1997 ; que les conclusions dirigées contre cette dernière délibération  ne sont donc pas sans objet, ni irrecevables pour défaut d'intérêt à agir ; qu'en tout état de cause, et à supposer même que la seconde délibération ait retiré ou abrogé la première, cette seconde décision, faisant elle-même l'objet de conclusions en annulation, ne peut être regardée comme définitive ; qu'il y aurait toujours lieu, dès lors de statuer sur les conclusions dirigées contre la délibération du 12 décembre 1997 ;

Considérant, en dernier lieu, que si l'avocat de la commune d'AUXERRE a déposé, dans l'instance n° 985247 un mémoire quelques jours avant d'y être expressément autorisé par délibération du conseil municipal, il n'en demeure pas moins que l'habilitation ultérieure qui lui a été délivrée a eu pour effet de régulariser cet état de fait ; que le mémoire présenté pour la commune d'AUXERRE est par suite également recevable ;

 

Au fond, sur les conclusions tendant à l'annulation des délibérations attaquées en tant qu'elles autorisent la signature de l'avenant n° 6 au contrat d'affermage, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens des requérants :

Considérant qu'aux termes de l'article L.1411-2 du code général des collectivités territoriales, issu de l'article 40 de la loi du 29 janvier 1993, modifiée par la loi du 2 février 1995 : "Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en oeuvre. Dans le domaine de l'eau potable, de l'assainissement, des ordures ménagères et autre déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans sauf examen préalable par le trésorier-payeur général, à l'initiative de l'autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée. Les conclusions de cet examen sont communiquées aux membre de l'assemblée délibérante compétente avant toute délibération relative à la délégation. Une délégation de service ne peut être prolongée que :
- a) Pour des motifs d'intérêt général. La durée de la prolongation ne peut alors excéder un an ;
- b) Lorsque le délégataire est contraint, pour la bonne exécution du service public ou l'extension de son champ géographique et à la demande du délégant, de réaliser des investissements matériels non prévus au contrat initial, de nature à modifier l'économie générale de la délégation et qui ne pourraient être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une augmentation de prix manifestement excessive.
La prolongation prévue au a) et au b) ne peut intervenir qu'après un vote de l'assemblée délibérante" ;

Considérant que les dispositions ci-dessus rappelées n'ont pas et ne sauraient avoir pour objet de permettre la modification pour tout motif ou dans n'importe quelle condition d'un contrat portant délégation de service public ; qu'il convient notamment de rechercher si, même sans modification de la nature du contrat initial, les investissements matériels dont la réalisation est envisagée n'entraîneraient pas une modification telle de l'économie du contrat d'origine que cette modification ne pourrait résulter d'un simple avenant à ce contrat, même avec prolongation de la durée de ce contrat, et sans appel à la concurrence, mais seulement d'un contrat autonome, signé après qu'il ait été procédé à une mise en concurrence en bonne et due forme ; que, de même, la prolongation du contrat initial, prévue par l'article L.1411-2 du code général des collectivités territoriales ne peut intervenir que pour la bonne exécution du service public ;

Considérant, d'une part, que l'importance des travaux prévus par la commune d'AUXERRE et la SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX, eu égard notamment à leur coût, soit 7,1 millions de francs, à l'ampleur de l'opération de mise à niveau des installations, qui doit permettre le fonctionnement largement au-delà de sa capacité normale d'une installation classée tout en supprimant les inconvénients de ce dépassement de capacité pour les riverains de la station, et à l'augmentation importante du montant de la redevance qui, malgré la prolongation elle même conséquente de la délégation du service public, doit, d'après la société exploitante elle même, atteindre près de 18 % par an, n'était pas de nature à permettre leur réalisation comme en l'espèce, dans le simple cadre d'un avenant au contrat, même avec prolongation de la durée initiale de la délégation de service public, et sans appel à la concurrence ; que de tels travaux auraient dû faire l'objet d'une procédure contractuelles avec appel public à la concurrence ;

Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que la station d'épuration, prévue pour une capacité de 80 000 équivalents/habitants, dessert un bassin réunissant une population de 50 000 à 60 000 équivalents/habitants ; que le dépassement de capacité jusqu'à 120 000 ou 160 000 équivalents/habitants, voire jusqu'à 200 000 équivalents/habitants en période de pointe, et dont les travaux ont pour but d'en maîtriser les effets sur le plan de l'environnement, n'est dû qu'aux autorisations de raccordement sur le réseau public, sans aucune contrepartie, notamment sur la base de l'article L.35-8 du code de la santé publique, d'entreprises industrielles privées, dont les rejets pour les deux plus importantes d'entre elles se montent à respectivement 35 000 et 25 000 équivalents/habitants, et alors même que l'association "AUXERRE ÉCOLOGIE" a pu affirmer, sans être démentie, que l'une de ces entreprises, qui possède sa propre installation de captage d'eau, ne serait pas redevable de la taxe d'assainissement, assise sur la consommation en eau potable ; qu'à supposer même que ces avantages consentis à ces entreprises l'aient été dans un but d'intérêt général, en vue de la sauvegarde des emplois qu'elles représentent, il n'en demeure pas moins que la charge que constituent ces autorisations de branchement sans contrepartie ne saurait être transférée sur les autres usagers du service public d'assainissement ; que le mode de financement retenu n'était ainsi pas approprié ; qu'il s'ensuit que les travaux objets des délibérations litigieuses ne peuvent être regardés comme effectuées pour la bonne exécution du service public, au sens de l'article L.1411-2 précité du code général des collectivités territoriales, celui-ci, les branchements industriel mis à part, ayant un fonctionnement suffisant ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les délibérations en tant qu'elles approuvent un avenant au contrat passé avec la SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX, ainsi entaché d'illégalités, sont elles-mêmes illégales ; que les requérants sont fondés à en demander l'annulation ; qu'il y a lieu de faire droit à ces conclusions de leurs requêtes et d'en prononcer l'annulation ;

 

Sur le surplus des conclusions des requérants :

Considérant qu'il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler la décision du maire d'AUXERRE de signer l'avenant n° 6 ; que, toutefois les annulations ci-dessus prononcés sont sans influence sur l'inscription au budget primitifs des crédits correspondants, dont l'existence ne ressort d'ailleurs pas des pièces du dossier ; que, de même, les illégalités affectant les délibérations en date des 12 décembre 1997 et 30 janvier 1998, en tant qu'elles approuvent la signature de l'avenant n° 6 sont sans effet sur ces mêmes délibérations, en tant qu'elles prévoient la création d'un syndicat intercommunal à vocation unique chargé de la gestion du service d'assainissement ; que si Monsieur Denis X... soutient que la création de ce syndicat en la matière sur une autre personne morale, il n'apporte pas de précision suffisante à l'appui de ses allégations, de nature à en établir la pertinence ; que ces dernières conclusions doivent dès lors être rejetées ;

 

Sur les frais et non compris dans les dépens :

Considérant que les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ne permettent de condamner que la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante ; que les conclusions de la commune d'AUXERRE et de la SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX, tendant à la condamnation de chacun des requérants à lui verser la somme de 10 000 F ne peuvent dès lors qu'être rejetées ;

Considérant inversement qu'il y a lieu de condamner la commune d'AUXERRE à verser à l'association "AUXERRE ÉCOLOGIE" la somme de 500 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

 

DÉCIDE :

ARTICLE 1er : Les délibérations susvisées du conseil municipal d'AUXERRE en date des 12 décembre 1997 et 30 janvier 1998, en tant qu'elles autorisent le maire d'AUXERRE à signer l'avenant n° 6 du contrat liant la commune à la SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX en vue de la gestion du service d'assainissement, ensemble la décision du maire d'AUXERRE de signer l'avenant sont annulées.

ARTICLE 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Monsieur Denis X... est rejeté.

ARTICLE 3 : Les conclusions de la commune d'AUXERRE et de la SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX tendant à la condamnation des requérants à leur verser une somme de 10 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

ARTICLE 4 : La commune d'AUXERRE est condamnée à verser à l'association "AUXERRE ÉCOLOGIE" la somme de 500 F, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

ARTICLE 5 : Le présent jugement sera notifié à Monsieur Denis X..., à l'association "AUXERRE ÉCOLOGIE", à la commune d'AUXERRE et à la SOCIÉTÉ LYONNAISE DES EAUX ; en outre, copie en sera adressée au préfet du département de l'Yonne.

 

Délibéré à l'issue de l'audience du 3 novembre 1998