TRIBUNAL D'INSTANCE D'ORANGE

 

Audience publique du 14 mars 2000

 

N° de RG 11-99-1144

 

JUGEMENT

 

Président : Jean-Marie Thiers

Greffière : Dominique Gaal-Musseleck

 

ENTRE :
La Société de Distribution des Eaux Intercommunales (SDEI)
demeurant 489 avenue Sadi Carnot 84 500 Bollène
prise en la personne de son représentant légal
Ayant pour avocat Me Bernard Autric, du barreau de Carpentras
DEMANDERESSE

ET :
- Monsieur Francis X...
- Monsieur Charles Y...
Ayant pour avocats Me Régine Rosello-Maniaci et Me Henri Berger, avocats au barreau d'Avignon
DÉFENDEURS

 

 

 

EXPOSE DU LITIGE

Faits

La Commune de Bollene, où habitent les défendeurs, a transféré sa compétence en matière de distribution d'eau au Syndicat intercommunal Rhône-Aygues-Ouvèze.

Par délibération en date du 19 mars 1993, le Syndicat a autorisé son Président à signer un contrat d'affermage du service de l'eau avec la SDEI pour une durée de quinze ans avec effet au 1er avril 1993

Par délibération du Conseil Municipal de Bollene en date du 25 novembre 1982, le Maire a été autorisé à signer le contrat d'affermage du service d'assainissement au profit de la SDEI pour une durée de douze ans.

Par délibération en date du 29 juin 1989, le Maire a été autorisé à signer un avenant portant la durée à quinze ans à compter du 1er juillet 1989

Le Maire de Bollene a encore été autorisé, par délibération en date du 24 juin 1993, à signer un avenant du même jour, appliquant une nouvelle tarification conforme à le loi 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau

Estimant que l'adoption des délibérations et la passation des contrats et de leurs avenants avaient été opérées dans des conditions illégales au regard de la loi 92-3 précitée et de la loi 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, des usagers bollenois groupés en associations décidaient de régler par acomptes.

Monsieur Charles Y... avait ainsi payé la facture en date du 26 mai 1997 en trois fois

Quant à Monsieur Francis X..., il avait réglé la même facture par acomptes

 

Procédure

La demanderesse a obtenu du Tribunal de céans deux ordonnances portant injonction de payer, en date du 30 septembre 1997 à l'encontre de Monsieur Charles Y..., et en date du 2 octobre 1997 à l'encontre de Monsieur Francis X..., qui ont régulièrement formé opposition les 24 et 27 octobre 1997

Par conclusions en date du 3 mars 1999, Monsieur Francis X... et Monsieur Charles Y... ont formé une demande reconventionnelle tendant à la condamnation de la SDEI à leur verser les montants des factures d'eau acquittées au titre des années 1994 à 1997, outre mémoire

Ils demandaient au Tribunal de céans, notamment :
- de renvoyer au Tribunal Administratif de Marseille l'examen de la question préjudicielle sur la légalité des délibérations en vertu desquelles le représentant du Syndicat Intercommunal de Rhône-Aygues-Ouvèze a été autorisé à signer le traité d'affermage relatif à l'eau et le Maire de Bollene à signer le traité relatif à l'assainissement
- de surseoir à statuer sur la validité du contrat d'affermage du service d'eau et des avenants relatifs au service de l'assainissement
- de constater la nullité des facturations litigieuses sur le fondement des dispositions des articles 1129, 1131 et suivants du Code Civil

Par jugement en date du 15 juin 1999, le Tribunal :
- a joint les instances concernant Monsieur Francis X... et Monsieur Charles Y...
- a sursis à statuer en attendant la décision du Tribunal Administratif de Marseille statuant sur le recours en appréciation de validité concernant la délibération du 19 mars 1993 et le contrat d'affermage au profit de la SDEI pour 15 ans à compter du 1er avril 1993 signé le 30 mars 1993 transmis le 2 avril 1993 à l'autorité préfectorale
- a imparti aux demandeurs à l'opposition un délai de trois mois pour saisir la juridiction désignée compétente, à peine de caducité

Par lettre en date du 27 décembre 1999, la SDEI a sollicité la remise au rôle.

 

Prétentions et moyens des parties

La SDEI fonde sa demande :
- sur la mauvaise foi des défendeurs
- sur le non respect par Monsieur Francis X... et Monsieur Charles Y... du délai de trois mois imparti par le jugement en date du 15 juin 1999 pour saisir la juridiction administrative
- sur deux arrêts de la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation n° 1756 et 1757 D en date du 3 novembre 1999 selon lesquels les contestations relatives à la validité du contrat d'affermage ne seraient pas préjudicielles, et le refus et le refus des abonnés de payer la totalité du prix de l'eau serait un trouble manifestement illicite

Les défendeurs produisent le "Mémoire introductif d'instance" qu'ils ont déposé au Tribunal Administratif de Marseille ainsi que l'accusé de réception du greffe les informant de l'enregistrement de la requête le 13 décembre 1999, soit avant la demande de remise au rôle de la SDEI

Les défendeurs rappellent que le Président du Syndicat Rhône-Aygues-Ouvèze a été autorisé par délibération du Syndicat en date du 22 juin 1998 à agir en appréciation de validité du traité d'affermage actuel et des conditions d'exécution du contrat par la SDEI et que le Tribunal Administratif de Marseille a été saisi le 15 octobre 1998

Sur la caducité du jugement en date du 15 juin 1999, ils excipent notamment l'article 675 du NCPC selon lequel seule la signification du jugement pourrait faire courir le délai de trois mois, dont le Tribunal n'avait pas, de surcroît, précisé le point de départ

Sur la question préjudicielle, ils invoquent le principe de séparation des pouvoirs et soutiennent que la solution du litige de fond dépend de la validité des contrats en application desquels la défenderesse se prétend créancière

Subsidiairement, ils justifient le délai de dépôt de la requête au Tribunal Administratif par les obstacles mis à la communication et pièces par le Président du Syndicat Intercommunal, et par le volume et la difficulté du dossier

Ils estiment abusive la demande de la SDEI, demandent un franc de dommages et intérêts à ce titre, et 5 000 francs en application de l'article 700 NCPC

 

MOTIVATION :

Selon l'article 378 du NCPC la décision de sursis à statuer suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine, en l'espèce, la décision du tribunal Administratif de Marseille statuant notamment sur la validité des contrats d'affermage. L'article 379 donne au juge la faculté de révoquer ou d'abréger le délai, suivant les circonstances.

Le jugement impartissait un délai de trois mois à Monsieur Francis X... et Monsieur Charles Y... pour saisir la juridiction administrative à peine de caducité.

Cependant, l'écoulement du délai ainsi fixé n'entraîne pas automatiquement la poursuite immédiate de l'instance, celle-ci étant laissée à l'appréciation du juge.

En l'espèce, les parties ont certes saisi la juridiction administrative dans un délai de près de six mois à compter du prononcé du jugement.

Cependant, la bonne administration de la justice s'oppose à ce que le Tribunal décide pour ce seul motif la poursuite de l'instance, alors que l'exception soulevée en application de l'article 49 du NCPC par les défendeurs présente un caractère sérieux et porte sur une question dont la solution est nécessaire au fond du litige.

La requête demande l'annulation des contrats d'affermage des services des eaux et de l'assainissement passés par la Syndicat intercommunal et la Commune de Bollene avec la SDEI par les moyens que, notamment :
- les contrats conclus avant la transmission au Préfet de la délibération autorisant l'Exécutif de la collectivité concernée à les signer sont illégaux et que tel était le cas en l'espèce
- que les cocontractants ont daté les contrats du 30 mars 1993 dans le seul but de les placer en dehors du champ d'application de la loi du 29 janvier 1993 précitée
- que ladite loi impose une mise en concurrence en matière de délégation de service public qui n'avait pas été respectée en l'espèce.

Ces moyens sont ceux qui ont été développés devant le Tribunal de céans à l'appui de la demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision préjudicielle de la juridiction administrative.

La défenderesse, délégataire du service public, ne saurait nier le caractère sérieux du litige dont est saisi le Tribunal Administratif, puisque la délégante elle-même a introduit une instance tendant à faire apprécier la validité du contrat, par des moyens pour partie semblables.

Le Tribunal observe enfin que l'instance a été engagée par la demanderesse à l'automne 1997 et que l'affaire a été radiée par deux fois pour un défaut de diligences qui lui est imputable. Elle ne saurait donc justifier de la nécessité à voir statuer au plus tôt sur ses demandes.

Le Tribunal rejette la demande tendant à la poursuite immédiate de l'instance.

 

Sur la demande de réexamen du jugement portant sursis à statuer :

La demanderesse s'appuie sur deux arrêts de la Cour de Cassation pour demander au Tribunal de réexaminer sa décision et de la rapporter.

Cependant les moyens tirés de ces arrêts, tels que les interprète la demanderesse, pouvaient aisément être produits dans le débat qui a précédé le jugement portant sursis à statuer, et l'ont été, expressément ou en substance.

En particulier, dans ses conclusions produites à l'audience du 22 septembre 1998, la SDEI fait état de l'arrêt de la Cour d'Appel de Nîmes en date du 2 septembre 1998 à l'encontre duquel ont été formés les pourvois en cassation qui ont abouti aux arrêts précités.

Le Tribunal de céans a examiné ces moyens et les a écartés dans le jugement du 15 juin 1999.

La SDEI ne peut donc les invoquer à nouveau à ce stade de la procédure. Seule la voie de l'appel en aurait permis le réexamen.

 

DISPOSITIF :

Par ces motifs, le Tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, et en premier ressort,

Rejette la demande tendant à la poursuite de l'instance suspendue par le jugement en date du 15 juin 1999 portant sursis à statuer.

Déboute la SDEI de l'ensemble de ses demandes.

Condamne la SDEI à verser à Monsieur Francis X... et Monsieur Charles Y... la somme de 2 500 francs chacun en application de l'article 700 du NCPC.

Réserve les dépens.

Ainsi jugé et prononcé, les jour, mois et an susdits.