TRIBUNAL ADMINISTRATIF de LYON 

N° 9600520 - 9600754 
9601281 - 9601308 
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Société TARTARY 
Monsieur Marc X... et autres 
Monsieur Roger Y... et autres 
Monsieur Jean-Louis Z... et autres 
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Monsieur KOLBERT 
Rapporteur 
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Monsieur STECK 
Commissaire du gouvernement 
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Audience du 14 janvier 1997 
Lecture du 29 janvier 1997

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS 

 

Le tribunal administratif de LYON 

(1ère chambre)

 

 

FT

Objet : 01-08-02-02 Actes législatifs et administratifs - application dans le temps - rétroactivité illégale  

 

LE LITIGE

1°) La société anonyme TARTARY dont le siège social est 21 rue Robespierre, (42100) SAINT-ÉTIENNE, représentée par son président-directeur général, a saisi le tribunal administratif d'une requête, présentée par Me CHAVENT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, et enregistrée le 2 février 1996 sous le n° 9600520 ;

La société requérante demande au tribunal d'annuler la délibération n° 52 en date du 22 janvier 1996 par laquelle le conseil municipal de SAINT-ETIENNE a fixé le prix de l'eau pour l'ensemble de la période 1990-1994 ; elle demande également que soit adressée à la ville de SAINT-ETIENNE une injonction aux fins de ne pas prendre de délibération fixant rétroactivement le prix de l'eau, sous peine d'astreinte de 100 000 F par infraction constatée ; elle demande enfin la condamnation de la ville de SAINT-ETIENNE à lui verser une somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles du procès ;

2°) Monsieur Marc X... (pages 1 et 2 : noms et adresses d'usagers) ont saisi le tribunal administratif d'une requête enregistrée au greffe le 19 février 1996 sous le n° 9600754 ;

Les requérants demandent au tribunal à titre principal d'annuler la délibération n° 52 du 22 janvier 1996 par laquelle le conseil municipal de SAINT-ETIENNE a fixé le prix de l'eau pour la période du 1er janvier 1990 au 30 décembre 1994 ; à titre subsidiaire, ils demandent la condamnation de la ville de SAINT-ETIENNE à leur verser une somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles du procès ;

3°) Monsieur Roger Y... (page 2 : noms et adresses d'usagers) ont saisi le tribunal administratif d'une requête enregistrée le 22 mars 1996 sous le n° 9601281 ;

Les requérants demandent au tribunal d'annuler la délibération n° 52 du 22 janvier 1996 par laquelle le conseil municipal de SAINT-ETIENNE a fixé le prix de l'eau pour la période du 1er janvier 1990 au 30 décembre 1994 ;

4°) Monsieur Jean-Louis Z... (page 2 : noms et adresses d'usagers) ont saisi le tribunal administratif d'une requête enregistrée le 25 mars 1996 sous le n° 9601308 ;

Les requérants demandent au tribunal d'annuler la délibération n° 52 du 22 janvier 1996 par laquelle le conseil municipal de SAINT-ETIENNE a fixé le prix de l'eau pour la période 1990-1994 ; ils demandent également la condamnation de la ville de SAINT-ETIENNE  à leur verser une somme de 1 000 F chacun au titre des frais irrépétibles du procès ;

 

L'INSTRUCTION DE L'AFFAIRE

En application de l'article R 150 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, une mise en demeure a été adressée, par lettre en date du 20 juin 1996, à la ville de SAINT-ETIENNE ;

En application de l'article R 153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, les parties ont été informées, par lettre en date du 9 décembre 1996, de ce qu'était susceptible d'être soulevé d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions en tant qu'elles sont présentées par le conseil départemental des associations de familles laïques de la Loire ;

En application de l'article R 154 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 décembre 1996 ;

 

L'AUDIENCE

Les parties ont été régulièrement averties de l'audience publique qui a eu lieu le 14 janvier 1997 ;

Le Tribunal a entendu à l'audience publique :
- le rapport de Monsieur KOLBERT, conseiller,
- les observations de Me CHAVENT, pour la société TARTARY, de Monsieur Marc X..., Monsieur Roger Y... et Monsieur Jean-Louis Z..., pour les autres requérants, de Me VIER pour la ville de SAINT-ETIENNE, et de Monsieur RICHER, pour la Société Stéphanoise des Eaux,
- les conclusions de Monsieur STECK, commissaire du gouvernement,

 

LA DÉCISION

Après avoir examiné les requêtes, la délibération attaquée, ainsi que les mémoires et les pièces produits par les parties avant la clôture de l'instruction et vu les textes suivants :
- le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986,
- les articles 1089 B et 1090 A du code général des impôts et l'article 10 de la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977, complétés par l'article 44 de la loi de finances pour 1994,

 

 

LE TRIBUNAL

Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre la même délibération et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il soit statué par un seul jugement ;

 

Sur l'intervention de la Société stéphanoise des eaux :

Considérant que la délibération attaquée n° 52 du 22 janvier 1996, par laquelle le conseil municipal de SAINT-ETIENNE a fixé le prix de l'eau pour la période 1990-1994, s'applique également à la première partie de la période pendant laquelle la Société stéphanoise des eaux s'est vue attribuer la concession du service de la distribution d'eau potable, à compter du 1er octobre 1992 ; que, par suite, l'intervention de la Société stéphanoise des eaux au soutien de la délibération attaquée par les requérants doit être admise ;

 

Sur la recevabilité de la requête n° 9600754 en tant qu'elle émane du conseil départemental des associations familiales laïques de la Loire :

Considérant qu'en l'absence de dispositions spécifiques des statuts du conseil départemental des associations familiales laïques de la Loire relatives aux modalités selon lesquelles cette association est représentée en justice, seule une délibération de l'assemblée générale pouvait autoriser sa présidente à introduire la présente instance au nom de l'association ; que, malgré l'invitation aux fins de régularisation qui lui a été adressée en ce sens, la présidente n'a pas produit une telle autorisation et ne saurait se prévaloir de l'habilitation dont elle aurait été investie par le conseil d'administration de l'association ; qu'il en résulte que la requête n° 9600754 en tant qu'elle émane deu conseil départemental des associations familiales laïques de France, irrecevable ;

 

Sur la légalité de la délibération n° 52 du 22 janvier 1996 :

Considérant que par des jugements en date des 30 novembre 1993 et 22 décembre 1994, le tribunal administratif de Lyon a respectivement annulé les délibérations en date des 29 octobre 1990, 4 novembre 1991 et 7 septembre 1992, puis des 31 mai et 5 septembre 1994 par lesquelles le conseil municipal de SAINT-ETIENNE a, à deux reprises, fixé le prix de l'eau pour les années 1991 et 1992, et approuvé les stipulations du contrat de concession passé par la ville avec la Société stéphanoise des eaux, ainsi que celles de ses avenants successifs, en tant qu'elles déterminaient le prix de l'eau pour la période postérieure au 1er octobre 1992 ; que, par un troisième jugement en date du 22 décembre 1994, le tribunal, saisi par la société anonyme TARTARY, d'une question préjudicielle posée par le tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE, a déclaré illégale la délibération, en date du 29 mars 1990, par laquelle le conseil municipal de SAINT-ETIENNE a fixé le prix de l'eau à compter du 1er avril 1990 ;

Considérant que, si l'annulation par le tribunal des délibérations relatives au prix de l'eau pour la période postérieure au 1er janvier 1991 a eu normalement pour effet de remettre en vigueur le tarif qui était antérieurement applicable, en vertu de la délibération en date du 29 mars 1990, le jugement par lequel le tribunal a déclaré illégale cette dernière délibération, en réponse à la question préjudicielle qui lui était posée à l'occasion d'un litige donné, n'a, en revanche, pas eu pour objet et ne saurait avoir pour effet de faire disparaître ladite délibération de l'ordonnancement juridique ; que, par suite, s'il incombe à l'autorité administrative de ne pas appliquer, pour l'avenir, un texte réglementaire ainsi déclaré illégal, même s'il est définitif, et si ladite illégalité peut être soulevée à tout moment par tout intéressé, en cas de litige concernant une décision individuelle, cette autorité ne peut légalement déroger au principe selon lequel les règlements ne disposent que pour l'avenir, en rapportant ou en modifiant rétroactivement ledit règlement, ou en lui substituant une autre réglementation ayant pour effet de lui permettre de revenir sur les effets passés qui ont pu être produits en application du règlement déclaré illégal ; qu'en adoptant, le 22 janvier 1996, une délibération par laquelle il a fixé le prix de l'eau pour l'ensemble de la période courant du 1er janvier 1990 au 31 décembre 1994, le conseil municipal de SAINT-ETIENNE a méconnu ce principe et par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens développés à l'appui de leurs conclusions, les requérants sont fondés à demander l'annulation de ladite délibération pour ce seul motif ;

 

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que si la société TARTARY demande au tribunal que soit adressée à la ville de SAINT-ETIENNE, une injonction tendant à ce qu'elle s'abstienne de fixer un nouveau tarif de l'eau à portée rétroactive, sous astreinte de 100 000 F par infraction constatée, une telle injonction n'est pas au nombre de celles dont les articles L 8-2 et L 8-3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel permettent au tribunal d'assortir ses jugements en vue d'en assurer l'exécution ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions sus analysées de la société TARTARY ;

 

Sur les frais irrépétibles du procès :

Considérant qu'aux termes de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;

Considérant en premier lieu, que Monsieur Marc X... et autres n'ont présenté leur demande tendant à l'application des dispositions précitées qu'à titre subsidiaire, au cas où leurs conclusions principales seraient rejetées ; qu'il en résulte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à ladite demande ;

Considérant en second lieu, qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de condamner la ville de SAINT-ETIENNE à payer à la société TARTARY une somme de 5 000 F et à Monsieur Jean-Louis Z... et autres, une somme de 500 F chacun au titre des mêmes dispositions ;

 

 

DÉCIDE :

Art 1 : l'intervention de la Société stéphanoise des eaux est admise

Art 2 : la requête n° 9600754 est rejetée en tant qu'elle émane du conseil départemental des associations familiales laïques de la Loire

Art 3 : la délibération n° 52 du conseil municipal de SAINT-ETIENNE en date du 22 janvier 1996 est annulée

Art 4 : la ville de SAINT-ETIENNE est condamnée à payer à la société anonyme TARTARY une somme de 5 000 F au titre des dispositions de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel

Art 5 : la ville de SAINT-ETIENNE est condamnée à payer à Monsieur Jean-Louis Z..., et autres une somme de 500 F chacun, au titre des dispositions de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel

Art 6 : le surplus des conclusions des requêtes est rejeté

Art 7 : le présent jugement sera notifié conformément aux dispositions de l'article R 211 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel

 

Délibéré à l'issue de l'audience du 14 janvier 1997 où siégeaient :
Monsieur ROUVIERE, président,
Messieurs WYSS et KOLBERT, conseillers,
assistés de Madame THIVILLIER, greffier ;

Prononcé en audience publique le vingt-neuf janvier mil neuf cent quatre vingt dix-sept

La République mande et ordonne au préfet de la Loire, en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.