Coordination nationale des Associations
de Consommateurs d'Eau - www.cace.fr
Accueil > Jurisprudence > CRC |
Cour des Comptes
Synthèse du rapport public particulier de février 2002 sur la préservation
de la ressource en eau face aux pollutions d'origine agricole, le cas de la Bretagne
Avertissement
La Cour des comptes publie, sous la forme d'un fascicule séparé,
un rapport intitulé "la préservation de la ressource en eau
face aux pollutions d'origine agricole : le cas de la Bretagne". Le présente
document est une synthèse destinée à faciliter la lecture
et le commentaire du rapport de la Cour des comptes. Les publications des juridictions
financières ne mentionnent pas les constatations donnant lieu à
des procédures juridictionnelles ou judiciaires en cours. Il est rappelé
que les réponses des administrations, des collectivités et des
organismes intéressés sont jointes au rapport.
SEUL LE TEXTE DU RAPPORT LUI-MÊME ENGAGE LA JURIDICTION.
Il est rappelé que les réponses des administrations, organismes,
collectivités et entreprises intéressés sont jointes au
rapport.
Introduction
Première partie : Les outils réglementaires
I. L'inapplication du régime des installations classées pour la
protection de l'environnement
II. Des contrôles insuffisants
III. La lutte contre la pollution phytosanitaire : la conjonction de l'incitatif
et du réglementaire
IV. Une police des eaux peu orientée vers la lutte contre les pollutions
Deuxième partie : Les programmes de reconquête
de la qualité
de l'eau
I. La protection des points de captages : une mise en oeuvre difficile
II. La maîtrise de fertilisation : des plans d'action départementaux
peu contraignants
III. Des programmes de résorption en zones d'excédent structurel
en retard sur leurs objectifs
IV. Les aides agricoles à vocation environnementale
V. Le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA)
VI. Les contrats de rivière et les contrats de baie
VII. Le programme Bretagne Eau Pure (BEP)
VIII. Des actions nombreuses, coûteuses, difficilement coordonnées,
qui se sont affranchies du principe pollueurpayeur
Troisième partie : Le risque contentieux
I. Les contentieux communautaires
II. Les contentieux nationaux
Conclusion et recommandations
Fondée sur la notion de "patrimoine national" introduite par la loi du 3 janvier 1992, la politique de l'eau a pour objectif fondamental de préserver la disponibilité de la ressource en quantité et en qualité, tout en assurant l'égalité des citoyens devant ses multiples usages.
La dégradation sensible et continue des cours d'eau et des nappes aquifères souterraines du fait de pollutions diffuses d'origine agricole, constitue à cet égard un défi majeur. En effet, les principes d'action retenus par le législateur pour préserver la ressource en eau obligent les pouvoirs publics à privilégier l'action préventive pour réduire les pollutions à la source et à faire supporter aux responsables de cette détérioration tout ou partie du coût des actions mises en place.
Au vu des politiques engagées depuis dix ans en Bretagne, aucun de ces principes n'a été respecté. En effet, les cours d'eau et les nappes de Bretagne sont aujourd'hui fortement dégradés par l'activité agricole, au point qu'une prise d'eau sur trois contrevient aux normes de qualité fixées par la réglementation. Ce processus est amorcé depuis au moins trois décennies, sans qu'une politique suffisamment volontariste et constante ait pu le freiner : les nombreuses actions mises en oeuvre depuis 1993, époque d'une première prise de conscience, se sont ajoutées les unes aux autres sans parvenir à démontrer de résultats probants bien que des fonds publics d'un montant supérieur à 310 M d'euros aient été engagés à cette fin.
Le principe d'action préventive n'a donc pas été appliqué jusqu'à présent. Les différents programmes ne se sont guère efforcés de réduire les pollutions agricoles à la source : ils ont le plus souvent pris la forme d'incitations à mieux faire, dans l'espoir qu'une modification progressive des pratiques éviterait de devoir faire respecter une réglementation qui demeure lettre morte. D'une façon plus générale, les actions engagées en Bretagne se sont attachées à convaincre les seuls éleveurs, alors que ceuxci ne constituent que les derniers maillons de filières fortement intégrées : les déséquilibres du modèle agricole breton sont d'abord le produit d'un système agro-alimentaire, et non pas seulement d'exploitants individuels.
Enfin, la charge financière de ces actions n'a pas reposé sur le principe selon lequel celui qui pollue doit payer : elle a été, soit supportée par l'ensemble des collectivités concernées, au premier rang desquelles figure l'Etat, soit reportée sur les consommateurs d'eau par le prix qui leur était facturé.
Ces insuffisances sont exemplaires. En effet, si la situation des eaux bretonnes est particulièrement dégradée, d'autres régions, voire d'autres milieux, rencontrent dès à présent ou rencontreront à brève échéance des problèmes comparables. Or, c'est en grande partie pour n'avoir pas su arbitrer les conflits d'usage ni choisir les instruments les plus adaptés que l'action conduite par l'Etat en Bretagne se révèle aujourd'hui aussi décevante, et que sa responsabilité est mise en cause par les juges européens et nationaux.
En dépit des programmes de reconquête, la situation reste globalement mauvaise en matière de nitrates : des teneurs moyennes supérieures au plafond réglementaire de 50 mg/l sont observées dans 20 % des captages. Au total, dans l'ensemble de la Bretagne, une prise d'eau sur trois ne respecte pas les normes de qualité. Les résultats des programmes se révèlent donc décevants : s'il est exact que la reconquête durable de la qualité des eaux exigera plusieurs années, l'absence d'infléchissement notable, à l'exception d'une hypothétique stabilisation des teneurs en certains points, témoigne du retard qui a déjà été pris.
De plus, les rivières, où les trois millions de Bretons puisent 80 % de leur eau, sont surchargées en produits phytosanitaires. On constate ainsi une contamination quasi-chronique des eaux naturelles par l'atrazine et par l'isoproturon. Si une légère amélioration avait été notée en 1999, celle-ci ne s'est pas poursuivie en 2000 : la proportion d'usines de potabilisation n'ayant pas délivré une eau continûment conforme est remontée cette année-là à 24 %.
Enfin, la prolifération des algues vertes sur le littoral a pris en Bretagne une ampleur considérable, tant par sa régularité que par son extension sur les côtes au cours de ces 20 dernières années. Actuellement, ce sont 40 à 80 sites qui sont affectés par une telle prolifération, que l'on désigne sous le nom de "marée verte".
Les actions liées à la préservation des eaux face aux pollutions d'origine agricole en Bretagne ont représenté des montants engagés supérieurs à 310 M d'euros pendant la période 1993-2000 (tableau page suivante).
L'agence de l'eau Loire-Bretagne, établissement public administratif sous tutelle du ministère de l'environnement, constitue d'assez loin le premier financeur de ces programmes, avec 138,3 M d'euros. Cette intervention dans le domaine des pollutions agricoles, qui constitue une nouveauté des années 1990, n'est pas allée sans heurts : l'agence a été si ouvertement "mise à contribution" par sa tutelle que le conseil d'administration s'est souvent montré réticent à l'idée d'accentuer cet effort financier compte tenu du déséquilibre de son mode de financement. En effet, la redevance pour pollution agricole prévue par la loi de 1964 n'a jamais été mise en place en dépit de l'intégration des élevages dans le système des redevances, prévue par le PMPOA, du fait d'un "moratoire" institué en 1994, puis prolongé en 1997 et 1999. Il en est résulté une inversion complète du principe posé par la loi de 1964, puisque sur la période 1993-2000, les éleveurs ont bénéficié d'aides massives sans acquitter aucune redevance.
Pourtant, la participation de l'agence aux programmes de reconquête de la qualité de l'eau en Bretagne a bien eu pour conséquence un alourdissement des redevances facturées aux usagers bretons, mais celui-ci a été entièrement à la charge des ménages et des industriels, allant ainsi à l'encontre du principe pollueur / payeur.
INTRODUCTION
Dépenses publiques engagées sur la période 1993-2000 en Bretagne | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
Etat / FNDAE | Europe | Agence de l'eau | Région | Départements | Autres | TOTAL EUROS | |
Programmes de protection des eaux | |||||||
Périmètres de protection | 811 287 | 6 971 555 | 7 782 841 | ||||
Programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole (PMPOA) |
47 064 770 | 9 701 555 | 77 056 352 | 20 649 004 | 36 477 098 | 190 948 778 | |
Bretagne Eau Pure II | 3 364 150 | 3 581 549 | 5 581 715 | 3 735 530 | 3 318 173 | 3 969 747 | 23 550 864 |
Contrats de baies / de rivières | 1 301 351 | 46 481 096 | 47 782 446 | ||||
Contrats eau potable | 125 377 | 3 735 | 137 830 | 40 619 | 12 406 | 171 896 | 491 862 |
Aides agricoles à vocation environnementale |
|||||||
Mesures agri-environnementales | 16 088 454 | 17 997 270 | 253 350 | 34 339 074 | |||
Contrats territoriaux d'exploitation (CTE) |
185 234 | 836 174 | 1 021 408 | ||||
Opérations Ferti-Mieux | 38 737 | 154 949 | 193 686 | ||||
Programmes de résorption | 2 028 467 | 1 014 234 | 1 014 234 | 4 056 935 | |||
Programmes d'action | 165 438 | 165 438 | |||||
TOTAL EUROS | 69 106 060 | 32 120 283 | 138 295 752 | 25 692 736 | 40 821 910 | 4 296 592 | 310 333 333 |
L'inapplication de la réglementation au cours des années 1994-2000 appelle un jugement sévère. Si les préfets de Bretagne portent une responsabilité dans cette défaillance, il semble que les principales fautives soient les administrations centrales de l'Etat, qui n'ont pas doté leurs services déconcentrés des moyens humains et réglementaires nécessaires pour assurer la correcte application de programmes négociés au niveau national avec la profession agricole. On peut dès lors s'interroger sur l'existence d'une véritable détermination politique à faire appliquer cette réglementation.
Le régime ICPE, issu de la loi du 19 juillet 1976, concerne quelques 26 000 élevages bretons en fonction de leur taille, et implique suivant trois seuils croissants le respect d'un règlement sanitaire, le dépôt d'une déclaration préalable, ou l'obtention d'une autorisation préfectorale après enquête publique.
L'examen à partir de 1994 de ce régime a révélé qu'il n'avait pas été appliqué tout au long des années 1980 : rares étaient les élevages bretons qui avaient respecté les arrêtés d'autorisation accordés ) sans compter que bon nombre d'entre eux n'avaient même jamais sollicité cette autorisation ou déposé de déclaration, en dépit de la loi.
Quoiqu'il n'existe aucun lien juridique entre le PMPOA et la réglementation des installations classées, le programme trouve son origine dans un durcissement de cette dernière en 1992 et 1994, qui donnait aux exploitations existantes un délai d'adaptation variable. C'est pour permettre aux élevages de tenir ces échéances que le PMPOA a été conçu, et éventuellement pour inciter les exploitants à aller au-delà de la réglementation dans la maîtrise de leurs effluents.
Parallèlement, l'intégration des élevages soumis au régime ICPE dans le système des redevances des agences de l'eau était prévue par l'arrêté du 2 novembre 1993. Mais ce dispositif a été modifié à plusieurs reprises pour instituer un moratoire des redevances courant jusqu'à l'année 2000. Les modifications successives de ce régime, systématiquement dans un sens favorable aux éleveurs, ont ainsi supprimé les contraintes de délais, et expliquent en grande partie le faible taux de réalisation du PMPOA.
Ce dernier constitue en outre l'exemple d'un programme largement "cogéré", dont la mise en oeuvre a été confiée à un comité national de suivi réunissant un nombre important de représentants des organisations professionnelles agricoles. Or, les résolutions de ce comité ont de facto pris valeur de normes : au-delà de sa fragilité juridique, c'est bien sur le fond qu'il convient de critiquer ce dispositif. En effet, le comité de suivi souffre d'une composition très déséquilibrée au profit des organisations professionnelles agricoles, qui aurait dû le cantonner au suivi général du programme, et non à l'édiction de normes dans les matières régaliennes que constituent le régime des redevances pollution des agences de l'eau et surtout la réglementation ICPE. Les associations de protection de la nature, quant à elles, n'ont été représentées au comité de suivi qu'en 1998, après que les principales décisions stratégiques eurent été prises.
Le processus de régularisation entraîné par le PMPOA n'a pas d'origine réglementaire : il procède des travaux du comité national de suivi, qui a arrêté dès février 1994 le principe selon lequel tout éleveur s'engageant dans le programme devrait être considéré comme en instance de régularisation au titre de la réglementation ICPE, les dépassements d'effectifs inférieurs à 25% par rapport à l'autorisation initiale ne devant pas même nécessiter le dépôt d'un nouveau dossier. Il s'agissait là d'une interprétation prétorienne du décret du 21 septembre 1977, aux termes duquel toute modification des conditions d'exploitation doit être portée à la connaissance du préfet avant sa réalisation, et faire l'objet d'un nouveau dossier en cas de changement notable.
Faute de texte spécifique, la régularisation s'est faite officiellement dans le cadre de l'article 24 de la loi du 19 juillet 1976, qui dispose que lorsqu'une installation classée est exploitée sans avoir fait l'objet de la déclaration ou de l'autorisation requise par la loi, le préfet met l'exploitant en demeure de régulariser sa situation, et prend au besoin un arrêté motivé de suspension de l'exploitation. La pratique a été très différente, puisque sauf exceptions très ponctuelles, la régularisation s'est dispensée d'arrêtés de mise en demeure, pourtant obligatoires, d'arrêtés de suspension, et plus encore de sanctions pénales, pourtant prévues par l'article 18 de la loi de 1976.
Une zone d'excédent structurel est un canton dans lequel les déjections des animaux représentent, indépendamment de tout mode de traitement, une quantité d'azote supérieure à la capacité d'absorption des sols. Ces cantons, au nombre de 71 en Bretagne, font donc l'objet d'une réglementation particulière, qui vise à "résorber" cet excédent structurel.
Dès l'automne 1995, la ministre de l'environnement a demandé aux préfets bretons d'y suspendre les nouvelles autorisations de créations ou d'extensions jusqu'au terme des programmes de résorption. Mais, quoique cette interdiction ait été constamment réaffirmée, des exceptions ont été ouvertes, dès 1995 au profit des jeunes agriculteurs, puis en 1998 en augmentant les effectifs supplémentaires susceptibles d'être autorisés avant même le terme des programmes de résorption, et en ouvrant le bénéfice de cette "marge" aux élevages familiaux à dimension économique insuffisante. Ces dernières dispositions traduisaient un recul sensible puisqu'elles rompaient avec le blocage des effectifs, alors que les programmes de résorption n'avaient guère produit d'effets.
Ces orientations ont été mise en oeuvre sans grande rigueur, notamment pour déterminer le nombre d'animaux "régularisables". Le statut de jeune agriculteur a aussi été interprété dans une optique strictement administrative, sans que soit réellement prise en considération l'opportunité de nouvelles installations en ZES. En outre, les critères d'accès à la "marge" se sont avérés plus souples en pratique que ne le prévoyait la circulaire du 21 janvier 1998, et les délais de régularisation des effectifs ont été plusieurs fois prorogés.
Tout ceci explique que les régularisations en ZES ont été presque systématiquement accordées. Du reste, c'est moins l'absence de progrès de la résorption que la chute des cours du porc qui a conduit, le 2 février 1999, les ministres concernés à doubler ce régime de blocage "théorique" en vigueur en ZES d'un programme de recensement et de contrôle visant à accélérer le retour aux effectifs réglementaires.
Une fois les autorisations accordées, les services des installations classées sont chargés de veiller à la correcte application des prescriptions des arrêtés préfectoraux, notamment en ce qui concerne les effectifs animaux. Or, les bilans des contrôles font apparaître des dérives significatives : sur la base du recensement effectué début 1999, la proportion d'élevages porcins en situation irrégulière serait d'au moins 44,6 % : les sureffectifs spontanément reconnus par rapport à la date du 1er janvier 1994 portent sur 17 691 reproducteurs, qui devraient en toute rigueur faire l'objet d'un plan d'élimination, conformément aux instructions ministérielles.
Mais c'est sur la question de l'épandage que les différents programmes engagés depuis 1993 montrent les plus grandes faiblesses, bien des programmes d'action spécialement conçus pour résoudre ce problème aient été adoptés.
La mise au point d'un plan d'épandage et son suivi sur un cahier sont obligatoires pour toutes les exploitations. Mais les plans sont conçus prêteur par prêteur, et non pas parcelle par parcelle : le contrôle de la correcte répartition agronomique est donc actuellement hors d'atteinte. Un tel contrôle devrait s'appuyer sur un outil informatique performant dont la conception achoppe sur la numérisation géographique des parcelles, vis-à-vis de laquelle les chambres d'agriculture se montrent extrêmement réservées . Du reste, l'identification des parcelles à risque dans le cadre des contrats Bretagne Eau Pure a donné lieu à une vigoureuse opposition de la profession, celle-ci s'opposant à toute forme de communication des données.
Le contrôle de la correcte exécution des épandages, quant à lui, constitue à la fois le maillon le plus important et le plus délicat des politiques de lutte contre les pollutions diffuses agricoles. Or, le constat est relativement sombre. Ainsi, dans les Côtes d'Armor aucun contrôle physique inopiné des plans d'épandage n'a été fait depuis 1993. Surtout, malgré leur caractère obligatoire, une moitié au plus des éleveurs disposerait d'un cahier d'épandage, et seulement un quart pourrait justifier qu'il est correctement tenu. Enfin, il faut relever l'absence de poursuites pénales en matière d'épandage.
Les conditions d'utilisation des produits phytosanitaires font l'objet d'une réglementation nationale de plus en plus stricte. Mais devant la dégradation croissante des eaux, les préfets de Bretagne ont été conduits à prendre des arrêtés supplémentaires relatifs à l'utilisation des produits antiparasitaires contenant du diuron et de l'atrazine.
Ces dispositions sont encore très imparfaitement respectées. Le contrôle des prescriptions d'emploi chez les agriculteurs révèle un taux d'infraction qui ne diminue que faiblement, puisqu'il est passé de 34 % en 2000 à 28 % au premier semestre 2001. Surtout, la direction régionale de l'agriculture souligne que les trois quarts des infractions sont relevées dans des bassins versants faisant l'objet d'un contrat Bretagne Eau Pure. Bien que les 27 procès-verbaux dressés en 2000 se soient traduits par des sanctions limitées, six agriculteurs n'ayant été condamnés qu'à des amendes de 762 d'euros avec sursis, ils s'avèrent toutefois dissuasifs, le taux de récidive étant quasi-nul en 2001.
En matière de produits phytosanitaires, l'action réglementaire et pénale semble pouvoir aboutir à certains résultats, le choix des cas traités étant organisé et les parties civiles venant renforcer l'action. Mais bien que les programmes prévoient une politique de contrôle des produits, il apparaît que les financements consentis par l'agence de l'eau ou par le programme Bretagne Eau Pure continuent de privilégier l'animation plutôt que le contrôle, alors que ces produits font désormais l'objet d'une réglementation très restrictive.
Au regard de la situation des eaux bretonnes, les moyens alloués à la fonction de police des eaux semblent relativement faibles, avec un total de 50 agents assermentés dans l'ensemble de la région. Encore l'activité des cellules de police des eaux est-elle surtout liée aux régimes administratifs d'autorisation, et non aux contrôles de terrain.
Ces derniers, en outre, ne concernent que subsidiairement la lutte contre les pollutions. Ainsi, sur les 112 contrôles de terrain effectués par les agents assermentés de la DDAF d'Ille-et-Vilaine en 2000, seuls dix étaient liés à des problèmes de pollution. Cette observation se vérifie aussi au niveau des sanctions. Toujours en Ille-et-Vilaine, 56 des 58 procès-verbaux dressés en 2000 par la police de l'eau concernent des infractions à la loi sur la pêche, et deux seulement à la loi sur l'eau. S'il est compréhensible que cette priorité soit celle des garde-pêche, qui n'ont dressé aucun PV au titre de la loi sur l'eau alors que celle-ci les y autorise pourtant, il est plus étrange de constater que les agents de l'Etat se sont eux aussi consacrés bien davantage à la pêche qu'à l'état des eaux.
En conclusion, la viabilité d'ensemble du volet réglementaire de l'action de l'Etat est douteuse, puisque celle-ci repose sur une réglementation peu contrôlée et principalement conçue pour prévenir les pollutions accidentelles et non les pollutions diffuses. Dans le cas des élevages, ces pollutions accidentelles pourraient être correctement maîtrisées par l'amélioration des bâtiments et des capacités de stockage. Mais l'essentiel est ailleurs, c'est-à-dire dans la maîtrise de la fertilisation, donc dans la maîtrise des épandages. Or, les progrès sont peu perceptibles dans ce domaine, qui constitue la faille des politiques menées en Bretagne depuis 1993.
La police de l'eau, pour sa part, fait aujourd'hui l'objet d'une organisation qui est au mieux "coordonnée", mais pas encore "intégrée". En effet, si les polices de l'eau et de la pêche se sont juridiquement rapprochées, tel n'est pas le cas du régime ICPE : il résulte de cet émiettement des fonctions de police certaines zones floues qui nuisent à l'efficacité de contrôles par ailleurs peu nombreux. Le renforcement des moyens alloués aux fonctions de police, s'il est un préalable indispensable à toute politique sérieuse de contrôles, ne repose donc pas seulement sur la création d'emplois, mais aussi sur l'organisation d'une fonction de police intégrée.
A partir de 1993, différents programmes de reconquête de la qualité des eaux brutes se sont ajoutés les uns aux autres. Les périmètres de protection des captages (I) constituent cependant moins un "programme" qu'une obligation légale donnant lieu à des aides publiques. Les autres programmes relèvent davantage de la réduction des pollutions à la source, notamment par la modification des pratiques agricoles (II à V) ou par l'adaptation des exploitations (VI). Enfin, différents programmes participent d'une logique d'intensification des instruments précédents, notamment dans le cadre de contrats de rivière
(VII) ou de bassins versants (VIII).
Paradoxalement, la mise en oeuvre des périmètres de protection, qui constituent l'outil réglementaire le plus directement dirigé vers la préservation des eaux brutes, n'est pas plus avancée en Bretagne que sur le reste du territoire national. Ce constat tient en grande partie aux réserves que suscite cet instrument dans le contexte breton.
Trois ans après l'échéance fixée par la loi du 3 janvier 1992, qui exigeait que tout captage fasse l'objet d'un périmètre avant le 3 janvier 1997, seuls 47 % des 697 points de captages exploités actuellement en Bretagne disposent d'un périmètre de protection déclaré d'utilité publique encore que seuls 23 % fassent l'objet d'une inscription à la conservation des hypothèques, seule à même de produire des effets juridiques.
Malgré les aides de l'agence de l'eau, qui ont atteint 6,4 M d'euros au cours de la période, les petites communes trouvent élevées les dépenses liées à ce dispositif, qui laissent subsister à leur charge des montants généralement supérieurs à cent cinquante mille euros. Certaines hésitent donc à s'engager dans cette procédure longue et complexe, qui implique pour les activités ou installations avoisinantes des servitudes particulières pouvant aller jusqu'à l'expropriation : les élus locaux ne souhaitent pas imposer à leurs administrés, en grande majorité des agriculteurs, des contraintes foncières, voire des atteintes à leurs intérêts patrimoniaux. Aussi, lorsque les normes de qualité de la ressource brute sont dépassées, certaines communes préfèrent-elles abandonner leur prise d'eau, ce qui constitue un moyen radical de s'affranchir de leurs obligations légales. Il n'en demeure pas moins que l'abandon de points d'eau pollués ne fait que différer la protection de la ressource compte tenu de l'apparition de tensions en matière quantitative.
La directive du 12 décembre 1991 relative à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole imposait aux Etats membres de délimiter des"zones vulnérables" dans lesquelles les eaux destinées à la consommation présentent des teneurs en nitrates supérieures à 40 mg/l. Ces zones devaient ensuite faire l'objet d'un plan d'action global. Mais la directive a été mise en oeuvre avec un retard de trois à cinq ans selon les départements, qui a été mis en avant par la Cour de justice des communautés européennes à l'appui de sa condamnation de la France le 8 mars 2001, pour manquement à la directive n° 75/440/CEE relative aux eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire.
Les plans d'action, dont le principe général est la maîtrise de la fertilisation, se sont heurtés à deux limites : la distribution et l'utilisation effective par les éleveurs des cahiers de fertilisation, d'une part, et les conditions de prise en compte de l'azote minéral, d'autre part.
En effet, les programmes d'action ont rendu obligatoire pour toutes les exploitations la tenue d'un document baptisé "cahier de fertilisation", plus complet que le cahier d'épandage prévu par la réglementation ICPE. L'élaboration et la distribution des cahiers avaient été confiées aux chambres d'agriculture, qui se sont mal acquittées de cette tâche en n'adressant le premier projet de cahier que 35 mois après la publication du premier plan d'action. De surcroît, après cette première distribution, la chambre régionale d'agriculture a décidé de suspendre la diffusion des cahiers, prenant appui sur l'annulation par le Conseil d'Etat des arrêtés de 1995 venus modifier à la marge les prescriptions applicables aux élevages relevant de la réglementation ICPE. Cette décision est d'autant plus critiquable que les arrêtés de 1995 n'avaient été annulés que pour vice de forme, et que les cahiers de fertilisation constituaient depuis longtemps une obligation réglementaire que nul contentieux n'était venu contrarier.
Si les cahiers de fertilisation constituent un outil indispensable, ils restent perçus par les agriculteurs comme une contrainte et non comme un moyen de surveiller leur fertilisation. A cet égard, il est regrettable que leur contrôle soit quasiment inexistant.
De plus, si la réglementation permet en principe de contrôler les dates d'épandage et leur enregistrement sur les cahiers, elle ne correspond pas aux objectifs d'une fertilisation équilibrée, notamment du fait des difficultés à intégrer l'azote minéral dans les plans d'action bien que celui-ci représente entre 40 et 50 % des quantités totales d'azote épandues. Le préfet de région et le président du conseil régional n'ont pu faire mieux que de signer en janvier 2001 une "Charte des prescripteurs", qui marque une adhésion aux programmes d'action antérieurs et prévoit un dispositif de suivi des ventes de l'azote minéral.
Enfin, il doit être noté que les ministres chargés de l'environnement et de l'agriculture ont confié aux chambres d'agriculture le suivi et l'évaluation de ces plans. Il est pourtant paradoxal de confier l'évaluation d'un programme aux organismes dont dépend en grande partie sa mise en oeuvre. Il est aussi difficile de ne pas y voir l'une de leurs missions de service public, sans qu'il soit nécessaire de contraindre l'agence de l'eau à la financer pour un montant de 0,23 M d'euros : les chambres ont été subventionnées pour évaluer un programme qu'elles avaient directement fragilisé en bloquant la diffusion des cahiers de fertilisation.
La première génération des plans d'action départementaux établis en application de la directive"Nitrates", qui a pris fin en janvier 2001, a contribué à élaborer un cadre réglementaire pour l'usage des fertilisants organiques et minéraux. Mais faute de s'être appuyés sur un système de contrôles minimaux, ces plans n'ont eu pour l'heure aucun effet notable. Le succès de la seconde génération dépendra de la capacité de l'Etat à contrôler et sanctionner les manquements de l'ensemble du secteur agroalimentaire aux obligations définies par ces plans.
La notion de "résorption" est le corollaire de celle "d'excédent structurel" : à partir du moment où l'activité agricole produit plus d'azote que n'en supportent les sols du canton, il est nécessaire d'en "résorber" une partie, en transférant les déjections en dehors du canton ou en leur appliquant un traitement qui en diminue la charge azotée.
De fait, les quantités d'azote apportées par l'activité agricole sont très supérieures à la capacité d'absorption des sols : aussi les programmes de résorption se donnent-ils pour objectif la résorption de 100 Kt d'azote. Afin d'éviter les mesures contraignantes, il est avancé avec optimisme que 62 % des quantités résorbées pourront être d'origine minérale, malgré la difficulté à encadrer ces dernières. En regard de la production totale d'azote, sous-évaluée par le mode de délimitation des ZES, les objectifs annuels de résorption d'azote organique sont donc modestes, puisqu'ils ne portent que sur 36 Kt. Pourtant, si le plafond de 170 kg par hectare devait être respecté dans l'ensemble de la Bretagne, ce qui doit être le cas au 1er janvier 2003 aux termes de la directive "Nitrates", le champ de la résorption porterait sur 187,5 Kt, et non sur 100.
Les programmes sont donc largement sous-dimensionnés, d'autant qu'ils privilégient les méthodes les plus douces. En effet, les premiers programmes de résorption arrêtés en 1999 prévoyaient qu'une partie importante des excédents pourrait être"résorbée" par l'augmentation des surfaces d'épandage, solution très favorable aux éleveurs mais d'une efficacité écologique douteuse puisqu'elle ne réduit pas la charge totale d'azote diffusée dans les sols.
Le traitement des déjections animales est le seul à avoir un impact direct sur la charge azotée des épandages : son intérêt écologique est certain. Il est également le plus coûteux, puisque malgré un objectif limité à 40 % da la résorption, le coût final en est estimé à 128,4 M d'euros. En revanche, les programmes n'envisagent pas la réduction des cheptels, à l'exception du programme costarmoricain qui l'évoque comme 27ème et dernière mesure.
L'absence de progrès de la résorption a conduit à transformer profondément ces programmes par la circulaire du 21 janvier 1998. Celleci impose aux exploitations qui produisent annuellement plus de 15 à 20 000 kg d'azote de transférer leurs déjections hors ZES, ou à défaut de traiter celles-ci de telle sorte que les quantités d'azote restantes puissent être épandues en respectant les plafonds réglementaires. Cette obligation marque une sorte de "redémarrage" des programmes, certes bienvenue au regard du manque de résultats, mais cette décision révèle que trois années ont été perdues, alors que dans le même temps les cheptels se développaient.
Le bilan de la préfecture de région pour 1998 montre en effet que sur les 50 000 tonnes d'azote à résorber en priorité, la résorption n'atteignait que 15% de l'objectif. Encore, ce chiffre est-il obtenu en incluant la mise à disposition de terres, pour près du tiers du total. La résorption par traitement ou transfert à distance, la seule qui prémunisse véritablement les sols bretons, reste en revanche très faible.
En matière de traitement, le bilan établi fin 1999 paraît très faible : les travaux financés pour la période 1996-1999 ne correspondent qu'à une capacité de résorption de 2 450 tonnes d'azote par an, sur 28 000 tonnes à résorber annuellement. Encore ce chiffre ne prend-il pas en compte l'accroissement de la référence CORPEN relative aux bovins, qui se traduira par un accroissement de 32 % des quantités à résorber en ZES. L'avancement des programmes est tout aussi médiocre dans le secteur porcin, avec seulement 7 % des objectifs en novembre 2000.
Le retard des programmes de résorption illustre l'ambiguïté fondamentale des politiques de reconquête, qui n'ont pas su clairement trancher les conflits d'usages. Ainsi, les programmes font l'hypothèse qu'il sera possible de résorber les excédents actuels par des pratiques vertueuses, sans véritablement préparer ni contenir le développement des élevages : la mise en place des procédés de traitement constitue sans doute un moyen efficace au plan écologique, mais sa généralisation se heurtera probablement à une opposition sociale. Les associations de protection des milieux, mais aussi plusieurs responsables des services de l'Etat, craignent en effet que cette solution ne constitue une incitation à ne maîtriser en amont ni les effectifs, ni les pratiques agronomiques.
Les mesures agri-environnementales constituent le volet agricole de dépenses communautaires destinées à faire prendre en compte la question de l'environnement par les autres politiques de l'Union. Mais leur impact est resté limité, comme en témoigne une évaluation effectuée en 1998 par la DRAF et le centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA). Les agriculteurs euxmêmes doutent de leur efficacité : une enquête menée auprès de 80 signataires de contrats MAE montre que les bénéficiaires sont unanimes pour l'estimer très faible ou nulle.
Les contrats territoriaux d'exploitation (CTE), créés par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, ont un objectif plus large que les mesures agri-environnementales. Mais les résultats enregistrés en Bretagne sont décevants : si une centaine de dossiers est en cours d'instruction dans le Finistère, et une cinquantaine dans chacun les trois autres départements, il n'y avait pour l'ensemble de la région au 31 décembre 2000 que 62 contrats conclus, dont 31 mis en paiement pour moins de 1,02 M d'euros.
Si les aides agricoles à vocation environnementale constituent des dispositifs ambitieux, elles se heurtent toujours aux mécanismes lourds des aides nationales et européennes. Celles-ci, malgré la réforme de la PAC intervenue en 1992, privilégient encore souvent les quantités et la production au détriment de l'équilibre écologique. De fait, les aides proposées aux agriculteurs bretons ces dernières années ne sont pas venues infléchir le fonctionnement des filières agro-alimentaires régionales, et leur impact sur la qualité de l'eau apparaît inexistant.
A la fragilité réglementaire d'ensemble du PMPOA évoquée plus haut s'ajoutent des conditions de mise en oeuvre parfois ambigüs, liées à la difficulté de gérer un programme aussi lourd sans moyens administratifs spécifiques et sans référence réglementaire univoque.
Les DDAF ont rencontré de grandes difficultés pratiques pour mettre en oeuvre le PMPOA. Ainsi, les quatre directeurs départementaux ont dû recourir à des personnels vacataires pour pallier l'absence de créations d'emplois. Mais faute d'emplois inscrits aux budgets, ces personnels ont été souvent recrutés par des lycées agricoles ou des associations, et rémunérés via la facturation de l'instruction des dossiers à l'agence de l'eau, qui traduisait en fait une mise à contribution "administrative" d'un montant total de 681 527 d'euros pour la période 19952000, payée directement aux organismes qui "portaient" les contrats.
Par ailleurs, le PMPOA n'a pas su prendre en compte la dimension agronomique du problème des excédents d'azote, qui sont principalement le fait des épandages non maîtrisés. L'examen des dossiers et les témoignages recueillis montrent que le diagnostic en matière d'épandage s'est révélé souvent imprécis, au point que cette partie de l'analyse a souvent dû être reprise pour les dossiers déposés simultanément au titre de la réglementation des installations classées.
De plus, le PMPOA était supposé financer deux types de travaux : une mise aux normes fondée sur les arrêtés de 1992 et 1994, d'une part, et des améliorations par rapport aux prescriptions réglementaires, d'autre part. La première mesure peut surprendre, puisqu'elle constitue de facto une prime aux contrevenants antérieurs. Il s'agit toutefois de la logique même du PMPOA, contemporain du durcissement des normes techniques. La mise en oeuvre de ce principe a été singulièrement compliquée par diverses résolutions du comité national de suivi, qui ont abouti à subventionner dans de nombreux cas la totalité des travaux.
Le nombre d'éleveurs candidats au PMPOA, plus élevé que prévu, mais surtout l'absence de moyens administratifs à la hauteur du programme, ont entraîné lors des premières années un véritable engorgement. Celui-ci n'explique qu'une partie du retard d'ensemble, qui est aussi imputable aux bénéficiaires.
Pour l'ensemble de la région, le tableau de bord établi le 1er avril 2001 montre un taux d'achèvement global de 21 %, alors que le programme initial devait être terminé le 31 décembre 1999, et sa version prolongée le 31 décembre 2002. L'un des points les plus négatifs tient au fait que les élevages intégrables de 1994 à 1996, par construction les plus polluants, sont aujourd'hui très en retard, avec un taux d'achèvement pour ces trois catégories allant de 15 à 42 % seulement. Ces retards considérables s'expliquent par la suppression progressive des mécanismes qui devaient inciter les éleveurs à tenir les délais. Tout d'abord, si la date d'achèvement des travaux prévue au contrat n'était pas respectée, la subvention versée à l'éleveur était supposée faire l'objet d'une réfaction de retard qui n'a jamais été appliquée. Ensuite, l'assujettissement aux redevances pollutions de l'agence de l'eau a disparu de facto avec les moratoires successifs. Au total, la logique sur laquelle reposait le PMPOA - redevances contre subventions - a été biaisée au profit des éleveurs, qui ont bénéficié d'une dispense de fait jusqu'en 2000 ou 2001.
Les conditions de mise en oeuvre du PMPOA sont critiquables. Il convient en particulier de souligner l'effacement continu du lien redevances / financements, qui devait inciter les éleveurs à adapter au plus vite leurs bâtiments et leurs pratiques, mais surtout garantir un minimum d'équité dans le mode de financement d'un programme qui se révèle extrêmement coûteux sans que son efficacité écologique puisse être établie. En effet, les travaux financés pourront prévenir les pollutions accidentelles et assurer aux éleveurs des capacités de stockage, mais les épandages excessifs, qui constituent les pratiques directement polluantes, ne font encore l'objet que d'une réglementation abstraite et peu contrôlée.
Créés en 1981, les contrats de rivière ont pour objectif de préserver, restaurer et entretenir une rivière et son écosystème. Le montant des travaux mentionnés dans les deux contrats signés en Bretagne (Aven-Steïr-Goz et Odet-Steïr-Jet) atteint environ 30,5 M d'euros. Ce chiffre ne constitue cependant qu'un affichage : les contrats génèrent en réalité très peu de dépenses spécifiques, l'essentiel de leur contenu étant constitué par des programmes préexistants.
Créés par une circulaire de 1991 et largement inspirés des contrats de rivière, les contrats de baie sont destinés à la préservation, la restauration et l'entretien d'une baie, ainsi qu'à la protection et au développement de la ressource en eau potable et à la protection contre les inondations. La Bretagne a connu trois contrats de baie : le contrat de Morlaix, signé le 15 mars 1996, celui de la Rade de Brest signé le 12 février 1998, et celui de la Rance (2ème phase) signé le 14 avril 1998, qui n'a pas véritablement démarré. Comme pour les contrats de rivière, la plupart des dépenses affichées dans les contrats relèvent d'autres programmes.
Le bilan des démarches novatrices que devaient constituer les contrats de rivière et de baie apparaît très décevant. En confiant leur animation à des structures sui generis souvent dénuées de volonté et de compétences propres, ces contrats ont rendu plus complexe l'articulation des outils existants qu'ils ne les ont perfectionné. Mais l'échec de ces instruments contractuels est largement l'écho d'un autre échec : celui des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), qui devaient être les outils de planification préalables sur lesquels se seraient appuyés ces contrats. Faute d'une telle planification, ces derniers ne sont guère allés au-delà d'un affichage sans substance.
Le premier programme Bretagne Eau Pure, "BEP I" (1990-1994), s'était donné pour objectif d'améliorer l'assainissement des communes littorales, mais la détérioration rapide de la qualité des eaux a conduit à réorienter ce programme en direction de la lutte contre les pollutions diffuses. Une nouvelle convention "Bretagne Eau Pure II (BEP II)" (1995-1999) a donc été signée le 28 juillet 1995.
Le programme Bretagne Eau Pure II regroupe un ensemble d'actions disparates, qu'il vise précisément à coordonner et amplifier dans le cadre d'un bassin versant. S'il ne crée par lui même que très peu d'instruments nouveaux, BEP II constitue dans son principe le moyen de remédier aux difficultés d'articulation des programmes. Sous l'appellation BEP figurent en effet les programmes nationaux, c'est-à-dire le PMPOA, les programmes de résorption dans les zones d'excédent structurel et les mesures agri-environnementales. Ces programmes, dits programmes généraux associés, représentent en réalité 83,5 % des financements théoriquement regroupés dans BEP II. Les actions relevant spécifiquement de BEP II sont mises en oeuvre dans le cadre des seuls bassins versants ayant fait l'objet d'un contrat : limitées à 16,5 % des financements, elles visent principalement à sensibiliser les agriculteurs du bassin aux problèmes de l'eau, et prennent la forme de conseils agricoles, d'aménagements ponctuels, d'animations.
Le programme BEP II représente au total 235,03 M d'euros sur cinq ans en tenant compte des programmes généraux associés, et 51,95 M d'euros en ne considérant que les actions spécifiques.
La volonté de concentrer les moyens financiers sur des bassins versants limités, qui constituait le gage d'efficacité de BEP II, est dans les faits une pétition de principe, l'essentiel des actions relevant des programmes généraux sans logique territoriale. Cette concentration des moyens avait surtout une portée démonstrative, mais ce faisant, elle a pris le risque de retarder encore de cinq ans la mise en oeuvre d'une politique claire et réellement intégrée à l'échelle de la région tout entière.
En effet, après plusieurs années, les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des objectifs. L'évolution de la qualité de l'eau depuis les débuts des contrats, qui n'est pas satisfaisante en matière de nitrates, est très inégale pour ce qui concerne les pesticides. Le faible avancement des programmes généraux associés, essentiellement le PMPOA, s'est traduit par un retard important dans la mise en oeuvre des actions. Les actions spécifiques de BEP II accusent un retard comparable, sans qu'un lien puisse être établi entre les deux : au contraire, l'ambition de BEP II était bien de procéder au plus vite à une mobilisation des instruments disponibles, notamment pour que les programmes généraux associés puissent jouer pleinement leur rôle.
De plus, une partie importante des financements est destinée à la gestion administrative des contrats et ne vient pas contribuer directement aux actions de terrain.
Ce bilan mitigé a plusieurs causes. Certaines contradictions entre aides agricoles, européennes ou nationales, constituent un frein à l'évolution des pratiques. Globalement, les aides ou incitations à des pratiques agricoles plus extensives butent sur les mécanismes lourds de la politique agricole commune. De surcroît, dans certains bassins versants situés tout ou partie en zone d'excédent structurel, la poursuite des extensions d'élevages est venue contrecarrer l'effet des actions engagées sur le bassin.
Mais les insuffisances de BEP II sont aussi liées à la nature même du programme. N'étant pas maîtres d'ouvrages des actions dont elles devaient assurer le suivi, les collectivités porteuses de projet n'ont pu jouer qu'un rôle incitatif. Par ailleurs, les contrats sont fondés sur le volontariat et n'entraînent aucune sanction pour les pollueurs ou pour ceux qui ne souhaitent pas y adhérer : il n'existe aucun mécanisme d'éco-conditionnalité dans BEP II.
Enfin, les différents partenaires intervenant sur un même bassin versant ne font pas toujours preuve d'empressement pour mettre en commun des renseignements chiffrés utiles à l'avancement des projets. Dans le Finistère, par exemple, la chambre d'agriculture a régulièrement refusé d'échanger certaines informations avec la DDAF.
Les quatre chambres départementales d'agriculture ont été associées aux contrats BEP II en tant que conseillères des programmes de bassins versants mis en place dans les départements, mais aussi comme partenaires directes des maîtres d'ouvrage par lesquels elles sont rémunérées. Ainsi sont-elles à la fois juge et partie en étant rémunérées pour assurer les prestations de conseil, d'animation et d'évaluation.
Au vu de plusieurs exemples, il apparaît que les modalités d'intervention des chambres n'ont pas été suffisamment définies, encadrées et contrôlées pour s'assurer qu'elles n'ont pas simplement bénéficié avec BEP II d'un "effet d'aubaine" pour réaliser moyennant rémunération des prestations qui pourraient relever souvent de leurs missions d'établissements publics.
En outre, malgré les montants des prestations payées aux chambres d'agriculture, les porteurs de projets n'ont pas cru devoir faire jouer la concurrence avec d'autres prestataires, ni au niveau européen ni même au niveau national. Pourtant, les conventions, dès lors qu'elles sont conclues par un pouvoir adjudicataire, ne peuvent être regardées que comme des marchés publics de services au sens de la directive n° 92/50 /CEE, et à ce titre faire l'objet d'une procédure de publicité et de mise en concurrence.
En conclusion, on retrouve dans la mise en oeuvre de ce programme la même volonté de ne pas doubler l'outil incitatif d'un volet réglementaire et de contrôles effectifs. Ce faisant, il est à craindre que les actions spécifiques de BEP II, qui ne vont guère au-delà de l'animation et de la sensibilisation, ne provoquent aucune modification durable des pratiques agricoles.
Si toutes les collectivités, à commencer par l'Etat, ont incontestablement pris la mesure de l'enjeu que constituait la reconquête de l'eau, leurs actions n'ont pas fait preuve de la même unité ni de la même constance.
Tout d'abord, l'intrication de trois zones d'action géographiques a rendu les actions conduites en Bretagne peu lisibles, en même temps qu'elle les exposait au risque de voir les contraintes contournées. Ensuite, les instruments contractuels et réglementaires ont été mélangés, les premiers suspendant l'application des seconds en vertu de "contrats de confiance" qui n'ont guère porté leurs fruits jusqu'à présent. Enfin, les dépenses liées à la préservation des eaux ont eu pour origine les budgets généraux des financeurs, sans que ceux-ci en répercutent le coût sur les responsables des pollutions traitées. L'exemple le plus simple est celui de l'agence de l'eau, qui a engagé pendant la période un montant total de 138,27 M d'euros, sans percevoir de redevance pollution de la part des agriculteurs.
Ce mode de financement fortement redistributif à l'avantage des agriculteurs, pourtant responsables au premier rang de la dégradation des eaux brutes, constitue l'un des aspects les plus ambigus de la politique menée en Bretagne, et jette un doute sur l'acceptabilité économique et sociale de programmes coûteux dont l'efficacité reste à démontrer.
La mise en oeuvre des différents programmes de lutte contre la pollution des eaux en Bretagne est émaillée d'une série de contentieux d'inégale importance, dont le nombre et la variété témoignent d'une fragilité d'ensemble des actions engagées depuis 1993.
Le contentieux communautaire de l'environnement s'est considérablement développé ces dernières années, au point de constituer aujourd'hui pour les Etats membres un risque financier important avec l'usage croissant des dispositions de l'article 228 du traité CE qui permettent à la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) d'assortir ses décisions d'une astreinte.
C'est sur le fondement de ces dispositions que la France a été condamnée par la CJCE, le 8 mars 2001, pour manquement dans la mise en oeuvre de la directive n° 75/440/CEE relative aux eaux superficielles destinées à la production d'eau alimentaire. Ce jugement de la CJCE, s'il n'est assorti à ce stade d'aucune astreinte, constitue une menace juridique.
A ce contentieux"en manquement" s'ajoute un contentieux spécifique lié au PMPOA. En effet, si le traité CEE ne proscrit pas l'octroi d'aides publiques à des bénéficiaires exerçant leur activité sur des marchés concurrentiels, son article 88 conditionne leur légalité à de strictes obligations, pour partie procédurales avec le principe de la notification préalable, et pour partie de fond avec l'exigence de compatibilité avec les objectifs et les dispositions du traité. Bien que le "nouveau" PMPOA ait été accepté fin 2001 par la Commission européenn, la mise en oeuvre du "premier" PMPOA présente un risque en regard de cette double condition, d'abord en ce qu'il n'a pas été formellement notifié à la commission, ensuite parce qu'il n'a pas respecté les plafonds d'aides autorisés en matière agricole.
Les difficultés rencontrées par l'Etat dans la mise en oeuvre des programmes de reconquête de la qualité des eaux brutes l'exposent aujourd'hui à un nouveau risque contentieux lié à l'action récursoire. En effet, par un jugement du 2 mai 2001, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser à la société Suez Lyonnaise des Eaux la somme totale de 114 556 d'euros, correspondant à l'indemnisation du préjudice d'image et au remboursement intégral des indemnisations que la société avait dû verser à 176 consommateurs suite à sa condamnation par le tribunal de grande instance de Guingamp le 14 décembre 1995 pour distribution d'une eau impropre à la consommation. L'originalité de ce jugement, dont les implications juridiques et économiques sont considérables, tient à ce qu'il retient comme critère d'engagement de la responsabilité de l'Etat la notion de "carence fautive".
Mais la fragilité juridique de l'ensemble des programmes mis en oeuvre en Bretagne, évoquée tout au long de ce rapport, est aussi illustrée par un quatrième risque contentieux, lié à la fragilité intrinsèque des actes, qu'il s'agisse des textes ayant ponctué la mise en place du PMPOA, ou des nombreuses décisions prises sur le fondement d'une réglementation ICPE vis-à-vis de laquelle le juge se montre de plus en plus exigent.
L'analyse des risques contentieux encourus par l'Etat, et plus rarement par d'autres collectivités ou bénéficiaires de subventions, témoigne bien du flou juridique qui préside à la mise en oeuvre des programmes de reconquête de la qualité de l'eau. Mais ce constat "technique" n'est finalement pas le plus significatif : les exemples du contentieux en manquement et du contentieux récursoire montrent que ce ne sont pas seulement les conditions de mises en oeuvre juridiques de ces programmes qui peuvent être fautives, mais plus globalement l'action ou l'inaction de l'Etat face à la détérioration des eaux brutes.
Au total, il ne faut donc pas exclure la multiplication des condamnations de l'Etat, dont les actions sortent très fragilisées de leur examen par les juges nationaux et européens.
Alors qu'elles ont déjà entraîné des dépenses importantes, les actions menées en Bretagne n'ont pas encore prouvé leur efficacité. En effet, malgré quelques 310 M d'euros engagés depuis 1993 au titre de la lutte contre la pollution de la ressource, la qualité des eaux ne témoigne d'aucune amélioration significative.
Ce constat pessimiste procède de l'absence d'arbitrage réel entre les intérêts divergents mobilisés autour de la question de l'eau. Il convient en particulier de noter que les actions réglementaires et contractuelles engagées auprès des agriculteurs bretons ne se sont pas doublées d'une politique volontariste suffisante de réduction des pollutions à la source par le biais d'une régulation quantitative des cheptels, comme l'illustre négativement l'usage de la "marge". Il est vrai qu'une telle politique reviendrait à infléchir un mode de développement économique qui compte encore de nombreux partisans.
La première grande limite des politiques engagées en Bretagne tient au fait qu'elles vont parfois à l'encontre des mécanismes économiques des politiques agricoles communautaire et nationale. S'il s'agit là d'un constat relativement connu, il doit être souligné que les moyens juridiques existent pour créer les conditions d'une véritable écoconditionnalité des politiques agricoles, mais qu'ils n'ont pas été réellement mis en oeuvre jusqu'à présent.
S'agissant des aides animales, il convient de distinguer les deux principales productions concernées.
Pour ce qui concerne les élevages bovins, les mécanismes juridiques de l'éco-conditionnalité existent, soit comme possibilité ouverte aux Etats membres par le règlement CEE 3611/93, soit comme obligation dans les régimes de soutien direct, au terme du règlement CE 1259/99. Ces mécanismes sont pour la plupart repris par la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 : la Cour des comptes recommande qu'ils soient pleinement utilisés, au besoin suivant une modulation géographique pour garantir l'efficacité des politiques ciblées de reconquête de la qualité de l'eau.
Pour ce qui concerne les élevages porcins, un système d'orientation et de maîtrise des productions apparaît aujourd'hui nécessaire, doublé le cas échéant d'instruments contracycliques que les Etats-Unis essaient d'ailleurs d'incorporer dans leur future loi d'orientation agricole, et que la France a tenté sans succès d'obtenir durant sa présidence de l'Union.
Enfin, les aménagements visant à préserver les bordures de cours d'eau des écoulements, notamment ceux qui sont prévus par la nouvelle génération des programmes d'action de lutte contre les nitrates d'origine agricole, doivent être pleinement intégrés aux mécanismes des aides agricoles, et non pas cantonnés aux dispositifs contractuels comme le contrat territorial d'exploitation.
Les éleveurs bretons mentionnés tout au long de ce rapport se situent à l'extrémité de filières très structurées et parfois fortement intégrées. Les grandes coopératives bretonnes en sont un exemple. Or, les éleveurs dépendent souvent économiquement et techniquement de ces filières, elles-mêmes confrontées à des impératifs économiques contraires aux exigences environnementales.
Les programmes de préservation de la ressource en eau ne se sont que tardivement préoccupés de l'adhésion des acteurs du secteur agroalimentaire, pour ne se concentrer que sur les seuls éleveurs. Une telle adhésion devrait pourtant être systématiquement recherchée, et dans la mesure du possible contrôlée et sanctionnée.
Au gré des procédures, des programmes et des actions, plusieurs zones d'action se sont imbriquées les unes dans les autres. Chacune de ces zones correspond à des objectifs intéressants, mais leur juxtaposition empêche la mise en place d'une politique lisible et constante dans le temps, notamment lorsqu'elle s'appuie sur des dispositions réglementaires. En effet, l'usage de l'instrument réglementaire tolère mal l'existence de zones différenciées, qui ressortissent davantage d'une logique d'aides financières ciblées. Au total, la juxtaposition des zones conduit parfois à méconnaître le principe d'action préventive, en favorisant le déport des pollutions d'une zone à l'autre.
Il semblerait préférable que le zonage des politiques de l'eau en Bretagne épouse plus étroitement la logique interne des instruments mobilisés, autour de trois niveaux seulement.
Une zone unique, en l'occurrence l'ensemble de la Bretagne qualifiée de "zone vulnérable", pourrait être le cadre des instruments d'orientation économique des productions (blocage des extensions, seuils pour le traitement des déjections). C'est à cette même zone que devraient s'appliquer les obligations réglementaires relatives aux épandages, telles que les dates, les plafonds, et les restrictions.
Des zones "écologiques", en l'occurrence les bassins versants, devraient par ailleurs continuer d'accueillir prioritairement les instruments relevant de l'incitation, ou de la mobilisation ) tout en étant concernées par les réglementations applicables à l'ensemble de la région.
Enfin, les micro-zones que constituent les bords de cours d'eau ou les parcelles à risque devraient faire l'objet de réglementations particulières qui, comme les périmètres de protection des captages, les "isolent" juridiquement des activités polluantes.
La résorption des excédents d'azote produits par les élevages bretons a été systématiquement recherchée en étendant les possibilités d'épandage, alors même que dans une large portion du territoire régional, les sols présentaient déjà une véritable saturation. Cette politique, qui a certes connu un premier infléchissement à partir de 1998 lorsque les plus gros éleveurs se sont vus imposer la solution du traitement des déjections, a différé la résolution des problèmes de pollution et a pris le risque de fragiliser des zones jusque là préservées. Surtout, l'absence de contrôle sérieux des pratiques d'épandage constitue le maillon faible des actions de reconquête de la qualité de l'eau.
Le contrôle des épandages doit s'attacher à quatre éléments : les terres utilisées, l'enregistrement des pratiques, le respect des quantités maximales, et l'application des sanctions.
Ce contrôle pourrait être combiné avec celui de l'utilisation des terres pour les aides PAC : face à l'existence de nombreux contrôles (PAC, PMPOA, installations classées), il semble qu'un contrôle intégré ne soit pas seulement souhaitable, mais réellement indispensable.
Faute de pouvoir procéder à un contrôle continu des pratiques d'épandage, il conviendrait que des sanctions effectives soient prononcées dans les cas détectés. La mobilisation de tous les agents assermentés au titre d'une des polices de l'environnement à cet effet devrait être plus systématiquement organisée en liaison avec les parquets.
L'ensemble des programmes de reconquête de la qualité de l'eau a été engagé sans que les pouvoirs publics, et plus particulièrement l'Etat, s'engagent sur des objectifs précis. Ce constat propre à l'ensemble des actions se vérifie pour chacune d'elles isolément. Dans certains cas, ce dernier défaut ne procède pas seulement d'une insuffisance intrinsèque, mais d'une véritable absence de programme : c'est notamment le cas pour le suivi des ventes d'azote minéral, alors même que les programmes de résorption sont fondés sur l'hypothèse que 60 % de cette résorption en résulteront. Par ailleurs, les retards constatés pour les programmes dotés d'un calendrier initial n'ont pas conduit à mobiliser des moyens supplémentaires ou à user d'incitations renforcées. Dans le cas du PMPOA, comme il a été indiqué, c'est même le contraire qui s'est produit, avec la reconduction du moratoire sur les redevances en dépit du faible taux d'avancement constaté.
Enfin, une instabilité juridique chronique a affecté l'ensemble des programmes bretons, les textes succédant aux textes sans que les premiers aient trouvé le temps de s'appliquer. Cette instabilité a pu avoir un impact direct sur les délais de réalisation des actions.
La mise en oeuvre des programmes de reconquête de la qualité de l'eau et de préservation de la ressource gagnerait à s'appuyer sur des règles stables et fiables, qui ne remettraient pas en cause des actions inachevées et pas encore évaluées.
En outre, tous les programmes devraient faire l'objet de dispositifs de suivi efficaces, qui combinent indicateurs de réalisation et indicateurs d'effets sur le milieu. Ces dispositifs auraient notamment pour objet de garantir le respect des calendriers affichés.
Malgré leur complexité, les programmes de reconquête mis en oeuvre en Bretagne n'ont pas donné lieu jusqu'à une date très récente à la mobilisation de moyens administratifs supplémentaires. Ceci est particulièrement dommageable en matière de contrôles. L'inadéquation des moyens administratifs ne résulte pas seulement du nombre réduit d'emplois, mais aussi et peut-être surtout de leur affectation à des fonctions dispersées : ainsi, la faiblesse de la "police des pollutions" procède au moins autant de la faiblesse des effectifs mobilisables que du manque d'intégration des différentes polices concernées.
Les collectivités, au premier rang desquelles figure l'Etat, qui s'engagent dans des programmes d'une telle complexité devraient systématiquement doter leurs services des moyens administratifs adéquats, sauf à fragiliser la qualité et surtout le calendrier de ces actions, et à perpétuer les dérives qui ont été constatées, telles les emplois de vacataires dans les guichets uniques du PMPOA.
Cette juste allocation des moyens doit être poursuivie grâce à des dotations d'emplois budgétaires, mais aussi par l'organisation de fonctions intégrées, notamment dans le domaine de la police. A cet égard, les dispositions juridiques permettant aux agents assermentés de contrôler sous tous leurs aspects les pratiques agricoles polluantes devraient être prises au plus vite.
Si le constat auquel aboutit la Cour des comptes au terme de cette analyse est particulièrement critique, c'est parce que la dégradation des eaux bretonnes ne constitue en aucune façon un phénomène récent devant lequel les pouvoirs publics se seraient trouvés désarmés. Bien au contraire, elle est le produit de trente années d'un modèle de développement agricole dont les déséquilibres et les risques sont connus depuis longtemps.
Ce ne sont pas seulement les caractéristiques intrinsèques de l'agriculture bretonne, c'est-à-dire de l'élevage intensif hors-sol, qui sont aujourd'hui en cause : c'est aussi la singulière passivité de l'Etat devant l'inapplication d'une réglementation dont l'objectif était précisément de concilier l'exercice des activités économiques avec la préservation des patrimoines naturels.
Le présent rapport s'est attaché à mettre en évidence les insuffisances, voire les incohérences qui ont empêché les programmes engagés depuis le début des années 1990 de reconquérir la qualité des eaux : mais en 1993, lorsqu'ils ont été annoncés, ces programmes résultaient déjà d'une prise de conscience, et se présentaient à l'époque comme autant de ruptures avec les politiques, ou l'absence de politiques, qui avaient laissé s'amplifier les pollutions agricoles.
Dans ces conditions, la réorientation annoncée récemment de la politique menée en Bretagne, et plus généralement de la politique de l'eau, ne sera crédible et efficace que si elle tire les leçons de ces expériences décevantes, et s'attache à poser comme préalable au financement d'actions coûteuses le respect de la loi.